Epicure au pied de la montagne: un week-end gourmand dans la Valtellina
Mon train s’arrête à Saronno. Tiens, ce nom me dit quelque chose? Mais bien sûr, les amaretti, ces petits biscuits aux amandes qui accompagnent parfois le café dans les établissements italiens d’un certain standing (ou d’un certain bon goût). Ma route se poursuit vers le centre de Milan, où je passerai la nuit avant de retrouver mes guides et compagnons de voyage. À Milan, malgré l’heure tardive (22h00), je ne résisterai pas à l’appel d’une pizza: je suis en Italie, que diable.
Au petit matin, après avoir avalé ma moitié de pizza restante, je rejoins la gare centrale. Je la connais par coeur de l’intérieur, de par tous mes allers-retours vers le sud quand j’étais enfant. Pour la première fois, j’en sors et j’embrasse son grandiose, le temps d’embarquer dans le mini-van qui m’emmènera à Chiavenna, au plus proche des montagnes de la Valtellina, dans la province de Sondrio.
Entrée en matière lombarde: brisaola et autres bontés à Chiavenna
En Lombardie comme ailleurs en Italie, on pense à te nourrir avant tout, comme si un estomac (ne serait-ce qu’un peu) vide était intolérable. Aussi, la première étape à notre arrivée dans la ville de Chiavenna c’est un bar slash pâtisserie slash restaurant, le café-bistrot Mastai où l’on nous servira un repas léger, mais léger à l’italienne (lire: à s’en exploser le vendre et en redemander).
La star du repas? La brisaola, une viande de boeuf crue salée et assaisonnée (un peu différemment, selon les villages) originaire de la Valtellina. Aussi renommée qu’exquise, celle que l’on appelle bresaola ailleurs en Italie et dans le reste du monde, s’exporte facilement et vous la trouverez sans doute dans les rayons de votre épicerie italienne préférée. Elle est tendre et fond sur la langue.
Notre repas « léger » ne s’arrêtera pas là: on nous sert un risotto à la brisaola plus que consistant et, puisque l’on se trouve aussi dans une pâtisserie, une ronde de desserts à choisir à l’étal.
Je choisis une tartelette au chocolat et un cannoncino (littéralement, un petit canon), une pâte souple remplie de crème pâtissière. Avec le café, on nous sert des biscuits brutti ma buoni (littéralement, moches mais bons) et des biscottini di Prosto, originaires d’un bout de commune du Valchiavenna portant le même nom.
Extravagance (et cépage) au Palazzo Vertemate-Franchi
Au Bistrò Mastai, j’accompagne mon repas d’un Anfora, un vin blanc frais et corpulent, affiné dans des amphores en terre cuite. Les Italiens à ma table saluent ce choix avec enthousiasme parce que l’Anfora est de production on ne peut plus locale. Ses vignes sont cultivées à 35 minutes à pied du bistrot, au Palazzo Vertemate-Franchi, une villa du 16è siècle; en fait la seule bâtisse ayant résisté à un glissement de terrain survenu à Priuro, le village adjacent, en 1618.
Le Palais Vertemate-Franchi a traversé les époques en passant entre quelques mains, parmi lesquelles celle de l’antiquaire Brianzi qui l’a restaurée et redécorée avec du mobilier d’époque en 1902. En 1988, elle devient la propriété de la ville de Chiavenna. Ce patrimoine inestimable abrite deux fresques dépeignant le glissement de terrain ainsi qu’une multitude d’autres peintures et décorations au graphisme et à la géométrie impressionnantes qui lui confèrent une rare modernité.
Elle est aussi un symbole de bien-vivre, de par sa situation (volontaire) au coeur de la nature et ses jardins, vergers et vignobles grâce auxquels l’on produit encore miel, conserves et autres produits artisanaux.
Sorèl, le vent mystérieux des « crotti »
La nuit tombe sur Chiavenna, sa rivière et ses petites maisons soutenues par le flanc même de la montagne. Cette petite ville d’origine romaine qui compte aujourd’hui à peu près 7000 habitants est une réserve d’art, de culture et de savoir-faire.
Parmi tout ce bonheur, on compte les crotti (crotto au singulier), des grottes naturelles où un souffle de vent froid, le sorèl, vient s’infiltrer des bas-fonds de la montagne. Cet invité presque mystique apporte au crotto une température stable d’environ 8° tout au long de l’année, le rendant idéal pour la maturation de vins comme de viandes. Les crottis sont souvent aussi des restaurants proposant une cuisine traditionnelle.
Au Crotto Ubiali à Chiavenna, nous sommes invités à descendre dans la grotte, fort bien aménagée, où nous sera servi un apéritif typique de la Valtellina: le brisciat, composé de bri pour la brisaola et de sciat, une boulette de fromage frit local (souvent un bitto) enrobée dans une chapelure de farine de sarrasin.
Nous rejoignons ensuite la salle de restauration à l’étage, où l’on pourra profiter d’un repas d’ici sans gants ni manteaux. L’on nous servira ce que l’on pensait être (erreur!) le plat de résistance: une assiette généreuse de pizzoccheri di Chiavenna.
Les Pizzoccheris, spécialité de la Valtellina
Les pizzoccheris, plat sans aucun doute le plus renommé de la région, sont des pâtes fraîches aplaties à base de farine de sarrasin, servies avec du fromage de montagne, des pommes de terre, du chou et du beurre en abondance. Rien de mieux entre deux pistes de ski! À Chiavenna, par contre, on a joué l’originalité en remplaçant le plat complet par des gnocchis blancs au beurre, fromage et sauge.
Le repas continue (!) avec une assiette de travers de porc accompagnés d’une polenta au sarrasin, puis d’un gâteau local, la torta fioretto, aromatisée aux fleurs d’anis sèches. Il faudra bien jeter un digestif du coin par-dessus ce repas de fête car, à 22h30, nous récupérons tout juste nos manteaux pour rejoindre notre hôtel. En Lombardie, manger est une affaire sérieuse, de celles qui durent!
Dormir dans la Valtellina, à Chiavenna
J’ai passé un excellent séjour à l’hôtel San Lorenzo, à Chiavenna (à deux pas du Caffè Bistrò Mastai). La chambre était parfaitement propre et la literie confortable. L’endroit est simple, calme et accueillant.
Le pont suspendu au-dessus du Val Tartano: En équilibre entre les montagnes
Parce qu’entre deux repas, c’est aussi sympa de s’occuper parfois, on découvre dans le village perché de Tartano une curiosité locale: le plus long pont bhoutanais d’Europe (243m).
Les ponts bhoutanais symbolisent un passage rituel, un lien entre les cultures. Justement nommé Ponte nel cielo (pont dans le ciel), celui-ci impressionne de par sa longueur mais aussi sa hauteur. Il balance légèrement et offre une vue sublime sur la Valtellina.
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Délices sur les hauteurs de Chiavenna
Vous avez envie de vous offrir un plaisir gourmand en restant dans les hauteurs? Sur la route du retour, grimpez jusqu’au restaurant La Terrazza dans le minuscule village de Pianazzola, planant au-dessus de Chiavenna. À une vingtaine de minutes en voiture (voire à pied, si vous êtes motivés par une montée puissante – après l’effort, le réconfort, non?). Pianazzola est un paradis de petites ruelles et escaliers de roche qui s’entremêlent. Le clou du spectacle est un balcon avec vue sur la vallée. À La Terrazza vous attendra une carte de taille modeste mais au contenu très distingué. Le tourisme se développe doucement dans ce village d’à peine cinquante habitants et l’on peut désormais passer la nuit dans la vieille école du village, transformée en Bed and Breakfast.
Les dessous de la brisaola: une session culinaire avec les artisans de Ma!Officina
La vingtaine de kilomètres qui sépare Chiavenna et Madesimo serpente à flanc de montagne et fait progressivement apparaître la blancheur tant attendue de la neige. Afin d’accéder l’une des plus belles vues de la Lombardie (les Alpes, forcément), on enfourche quelques motos-neiges et l’on prend de l’altitude sur une piste qui, ce matin, n’appartient qu’à nous.
Dans le village de Madesimo, si l’on fouille bien entre les pistes de ski et de moto-neige, on tombe sur Ma!Officina, la petite boutique d’artisans de nouvelle génération: Stefano et Stefano. Ils forment un duo gagnant à n’en point douter, l’alliage italien parfait du charme et du savoir-faire.
Le premier nous offre café et causette tandis que le deuxième déploie sous nos yeux un éventail de spécialités, d’une main de maître.
À Ma!Officina (Via Antonio de Giacomi 7, Madesimo), les deux Stefano portent à maturation naturelle leur brisaola et salami, sans produits ajoutés. Ce dernier est préparé à partir d’une viande de cochons noirs de montagne élevés dans la région. Le processus de 60 jours implique le séchage dans un four à bois puis le développement des moisissures qui permettront à la viande d’accroître sa saveur.
Après une visite de leur atelier, l’un des Stefano nous invite à découvrir deux recettes typiques de la Valtellina. La première est le sciat, les boulettes de fromage enrobées de farine au sarrasin dont je vous ai parlé plus haut. La deuxième est le taroz, une purée de pommes de terre agrémentée d’ail, oignon, sauge, poivre, beurre et fromage (en bonne quantité). Celle-ci peut s’élever d’un cran avec l’utilisation des pommes de terre blu di Valtellina (bleues de la Valtellina), une variété alpine ancienne dont on a maintenu la prospérité, tout comme les cochons noirs, grâce à des organismes se dédiant à la conservation des espèces rares de la région.
Ici, même le lait à l’origine du fromage choisi pour le sciat a son importance: un exquis magnocca âgé de six mois que je peux cesser de piquer dans l’assiette malgré mon estomac blindé, préparé au lait cru de brunalpina, une vache elle aussi on ne peut plus locale.
La brisaola d’ici, quant à elle, peut se vanter d’un bouquet d’épices plus fourni qu’ailleurs puisqu’on y respire un peu de coriandre, de cannelle et qui sait? La recette en restera secrète!
La Lombardie sur la table, à Morbegno
Ma halte à Morbegno, avant de regagner la gare centrale de Milan (pour un passage « de l’autre côté de la montagne ») ne sera pas des moindres. Comme toujours, je me réjouissais d’un repas en osteria. Ce terme datant du XIVe et dont l’étymologie le ramène à hôte, était un point de restauration et de repos principalement masculin où les coupes de vins ne désemplissaient pas.
L’Osteria del Zep (Piazza Marconi 16, Morbegno) comporte certes son lot de mignons messieurs d’un certain âge jouant aux cartes avec leur rouge, comme au bon vieux temps, mais nous sommes aujourd’hui toutes heureusement incluses dans ce festin lombard. Soyez assuré(e)s que je me serais déguisée, le cas contraire, pour vous raconter cette suite de plats extraordinaires.
Pour commencer, l’on nous sert le traditionnel plat de charcuterie de la Valtellina, accompagnée d’une cuillère de miel de châtaignier. Des assiettes de sciat et de taroz (que vous connaissez désormais!) sont posés sur la table, à la bonne franquette. Le plat de résistance? Un duo de pizzoccheri. Voilà ses variantes représentées dans un même assiette, pour notre plus grand plaisir.
À l’épicerie, à l’italienne
Mais le clou du spectacle, à Morbegno, c’est l’épicerie Fratelli Ciapponi, dénichée au détour d’une rue. Dans le hall, quelques balances à l’ancienne, un agitation toute italienne, les vendeurs un peu bordéliques (ils sont chez eux, après tout) et les demandes des clients qui résonnent aux quatre coins de la pièce.
Je demande timidement si l’on peut filmer et le monsieur nous envoie trois étages plus bas: « Mais bien sûr! Vous avez vu la cave à vins? Non? ll faut descendre, là, et puis de l’autre côté, vous n’avez pas vu la cave à fromages? » Et l’épicerie de se transformer en un labyrinthe à explorer, avec mille surprises et raretés à dénicher entre les étages. On y trouve tout, tout, tout: gâteaux et biscuits typiques, miels, farines, vins de tous bords.
Moi, je m’y fais faire un panino, un sandwich pour le train: hop, ce petit pain là, un peu de brisaola à la coupe et une petite dégustation pour savoir quel est le fromage qui s’y mariera le mieux. On me prépare tout ça vite fait bien fait et on me l’emballe dans un carré de papier, à l’ancienne: aujourd’hui, dans mon train vers la Suisse, on enviera sans aucun doute mon dîner.
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Cet article a été réalisé en collaboration avec iambassador et l’Office de Tourisme de la Lombardie dans le cadre de #inLombardia365, un projet de promotion de la région. Les choix éditoriaux comme les opinions émises me sont propres, comme toujours! L’article contient quelques liens d’affiliation.
Par Corinne Stoppelli
Je suis Corinne, un petit oiseau libre. Sans domicile fixe depuis 2010, je sillonne la planète à la recherche d'inspiration et de points de vue différents. Sur Vie Nomade, je partage mon regard sur le monde, le temps et le changement, d'une plume sincère et d'un objectif curieux et ouvert. En savoir plus?