Leçons de résilience dans les Prairies de la Saskatchewan (ou comment survivre et prospérer en milieu hostile)
Il y a un quelque chose d’érotique dans les ondes que le vent dessine sur ses touffes d’herbe dorées, comme une invitation à les toucher, à s’y affaler. Constellations et voie lactée donnent du corps au vide insaisissable du ciel penché sur les Grandes Plaines. L’ouïe y est stimulée par la variété saisissante du murmure des millions d’oiseaux, rongeurs et coyotes, selon l’heure de la journée comme de la nuit. C’est un endroit où patauger dans le bonheur sans en mesurer les conséquences. En Saskatchewan, j’ai douze ans d’âge mental.
J’ai bien sûr avec moi ma maladresse habituelle: je casse tout très joyeusement, je trébuche, oublie mes affaires, prévois la fin du monde. L’univers est plein de dangers plus grands que moi. J’ai besoin d’aide et je l’assume comme je peux parce que tout ça, ce sont les séquelles d’une survivante: elles font partie d’une histoire large et complexe, comme celle des Grandes Plaines. J’y ai trouvé de la résilience par paquets et j’ai eu envie de vous raconter l’histoire de tout ce qui y survit, malgré l’adversité des badlands canadiennes, de tout ce qui, comme moi, est tombé sur un filon de chance considérable. De tout ce qui prospère toujours et malgré tout, en somme.
Big Muddy Badlands: la Saskatchewan n’est pas si plate qu’on le croit
De Regina, le chef-lieu de la province, la voiture roule sur les lignes très droites qui quadrillent la province, à travers des milliers de champs jaunes, dorés, verts: luzerne, colza, blé et les emblématiques balles de foin, parfaitement rondes. Ici et là quelques immenses oiseaux de proie, postés sur des poteaux esseulés dans le plat fabuleux de la Saskatchewan.
Ce n’est cependant qu’un plat illusoire et très temporaire; il laisse place au relief aussitôt que l’on longe les Big Muddy Badlands, accolés à la frontière des Etats-Unis. Ses saillies et ses creux, sculptés par un glacier, ont prolongé l’espérance de vie de bandits de tous gabarits entre le XIXe et le début du XXe. Difficile de ne pas avoir l’esprit amusé par l’imaginaire d’un western parfait (et si l’on n’est pas un connaisseur, un peu d’eau au moulin).
Après un angle à nonante degrés, la voiture continue loin, très loin, sur l’asphalte qui commence à onduler. Des collines légères, puis la route de gravier: on s’approche et l’on atteint, enfin, le Bloc Est du Parc National des Prairies. Ce dernier reçoit moins de dix-mille visiteurs par année.
Le Bloc Est du Parc National des Prairies: horizons et reconnaissance
La voiture et son épaisse traînée de poussière passent la porte symbolique du camp Rock Creek. Un cheval curieux lève la tête comme pour nous saluer. Des tipis marquent la limite du camp. Le reste? L’horizon à perte de vue.
Brenda Peterson, une petite dame boute-en-train, nous accueille au Centre de Visiteurs McGowan. Si le Bloc Est appartenait à quelqu’un, ce serait sans hésitation le sien: elle est née sur ces terres, cultivées par sa famille depuis 1911. D’abord contre la création du parc national, cette enseignante à la retraite devenue parkie (gardienne de parc) est désormais la plus chère et fervente protectrice des Prairies.
Au camp, des hirondelles rustiques (espèce menacée) volètent autour des bâtiments en dur. Ces chanceuses ont élu domicile où elles seront sans doute le mieux protégées. Elles piaillent des cris de bonheur au petit matin sous la toile de ma tente oTENTik (une structure combinant les joies du camping à celles du confort). Je m’installe et me change rapidement car nos chevaux nous attendent.
Piétiner les mille herbes de la prairie: où l’on sort (à dessein et littéralement) des sentiers battus
Je contourne soigneusement les nombreux terriers des spermophiles (ou écureuils terrestres) de Richardson. Ces derniers, contrairement à la plupart des autres habitants à pattes de la Saskatchewan, ne manquent pas à l’appel. Peu timides, il leur arrive aussi de s’approcher des tables à pique-nique dans l’espoir d’y récolter quelque chose.
Je rejoins mes nouveaux amis (ceux humains) et, ensemble, nous nous rendons sur la colline qui surplombe le parc. Teresa du Gold Willow Ranch nous y attend avec six magnifiques chevaux, guides silencieux et patients. Quelle meilleure entrée en matière que cette expérience purement sensorielle? On est pris par la main. Dans quelques jours nous pourrons nommer chaque herbe, chaque fleur et chaque oiseau mais, pour le moment, nous sommes comme des bébés: yeux grands ouverts sur l’immensité des prairies.
Nous sommes invités à ne pas rester dans les sentiers et à laisser les branches de l’Armoise argentée chatouiller le ventre de nos chevaux. Aussi surprenant que cela puisse paraître aux randonneurs habitués à rester sur le sentier afin de protéger les habitats naturels, dans les prairies, coups de sabots et pas permettent aux herbes sèches de laisser place aux nouvelles pousses. Ce petit geste a un impact considérable sur tout l’écosystème, celles-là servant de nourriture à de nombreuses espèces.
Je lance au trot Jessie, ma jument, afin de rejoindre Teresa en tête de file. Confortablement installée sur sa selle western, comme si le cheval n’était qu’une extension de sa personne, elle garde un oeil protecteur sur nous. L’autre est rivé sur un point distant et indéfini, au fond des prairies.
Elle m’explique que cette région, ces chevaux, ce sont ses plus grandes passions. Elle les partage avec une mesure admirablement naturelle. Et comme derrière tout grand projet de vie, il y a aussi ici une histoire de persistance. Si le ranch a été nommé ainsi (le saule pleureur doré) c’est pour cet arbre derrière la maison, tordu, mais toujours vivant. Aux yeux de Teresa, il représente l’esprit de l’une de ses filles, partie trop tôt. « Elle embarquait son respirateur sur son cheval et elle partait, comme ça » me raconte-t-elle. Je semble percevoir de la fierté dans ses paroles et j’en verse quelques larmes discrètement, derrière mes lunettes. Dans une autre vie j’aurais voulu naître ici.
Le retour vers le camp Rock Creek se fait dans le calme le plus contemplatif. Teresa et sa fille mettent en route un barbecue copieux et réconfortant que nous dégusterons avec le soleil couchant.
Le Gold Willow Ranch: à cheval dans les Grandes Prairies
Pour effectuer une balade de quelques heures avec Teresa et ses chevaux, réservez sur le site web du Gold Willow Ranch. L’expérience complète avec le barbecue, le Saturday Night Steak Ride, coûte 100CAD et sans le dîner, c’est 75CAD. Les groupes restent petits (max. 6 cavaliers) pour une expérience plus intime.
Observer la voie lactée comme jamais: la plus grande réserve d’étoiles du Canada
Malgré la fatigue du voyage et de la balade à cheval, j’attends avec impatience la tombée de la nuit afin de pouvoir observer le ciel. Le Parc National des Prairies est la plus sombre réserve de ciel étoilé au Canada. Au camp, les voyageurs sont invités à utiliser le moins de lumière que possible et, lorsque c’est possible, des lumières rouges.
Des mesures ont été mises en place dans la région afin de permettre à certaines espèces menacées de retrouver un rythme nocturne, propice à leur survie. C’est notamment le cas du putois à pieds noirs (en danger). Déclaré éteint au Canada en 1937, puis réintroduit en 2009, il n’a pas été aperçu durant ces dernières années1. L’engoulevent d’Amérique (préoccupation mineure), un oiseau qui se nourrit principalement d’insectes nocturnes, pourrait aussi être affecté par les lumières 2, celles-ci attirant une haute concentration d’insectes dans les villes.
En plus de nous rapprocher d’un rythme circadien idéal, ces efforts permettent aussi à tous les amoureux d’étoiles de profiter d’un ciel où la pollution lumineuse est absente. Ils rendent visibles la voie lactée à l’oeil nu.
Les Grandes Plaines: une histoire très intime
Au petit matin, encore des étoiles plein les yeux, je suis réveillée par les cris distants des coyotes. Leur présence dans les villes et les ranches ainsi que l’attrait que représente leur peau pour les commerçants (en 2017, le prix moyen d’un peau était de 111.45CAD 3) semblent générer de nombreux débats dans la province. Mais dans le Parc National des Prairies, il remplit son rôle de nettoyeur de carcasses et régule la population de rongeurs. On en parle d’ailleurs avec affection: « Les petits sont arrivés, quelles bouilles »!
Après avoir fait griller au barbecue notre panier petit-déjeuner, notre groupe quitte à nouveau le Rock Creek Camp, mais cette fois à pied. Nous y rencontrons Corelie Keller, notre guide de randonnée. Cette férue des Prairies semble connaître chaque herbe sur le bout des doigts. Elle aussi nous invite à ne pas rester sur les sentiers, tout en nous rendant attentifs aux petits cactus, mignons mais sournois, qui viendront se coller à nos semelles.
L’Armoise argentée, omniprésente dans le paysage que nous traversons, est le refuge du tétras des armoises (quasi menacé). Celui-ci se nourrit des boutons de la plante et niche à sa base. Ces petits buissons sont comme un calendrier de l’avent: en soulevant leurs branches, l’on découvre toutes sortes de petits animaux. Pour l’ordre des choses, les buissons d’armoise représentent la moitié indissociable d’un couple dont la disparition menacerait l’équilibre fragile de la région.
Mais il ne suffit pas de laisser l’armoise pousser à sa guise. En effet la plante, si elle atteint une certaine hauteur, peut emprisonner son hôte. Autrefois, les bisons qui peuplaient la prairie étaient d’excellentes tondeuses à gazon. Plus tard, les troupeaux des ranchers supplantèrent le travail nécessaire de l’animal sauvage. Aujourd’hui, un programme de pâture vachère et de réinsertion du bison d’Amérique du Nord (quasi menacé) a été mis en place afin d’atteindre une symbiose délicate, nécessaire au bon fonctionnement de l’écosystème des prairies.
À voir aussi dans les prairies…
- La grenouille léopard (préoccupation mineure), qui se balade près des zones aqueuses des Prairies (et se cache parfois dans les buissons d’armoise.
- Des buissons et baies de genièvre
- La tégénaire des champs, une araignée qui produit des toiles en forme de tunnel
- Des cerisiers de Virginie, dont le fruit est comestible
- La boutelou gracieux (blue grama grass, en Anglais). Une herbe dont tous les parkies semblent être fans et qui ressemble à un sourcil.
- La sphaeralcea coccinea (scarlet globe mallow, en Anglais), une très jolie petite fleur des prairies
Grenouille léopard – Boutelou gracieux – Baies de genièvre – Toile de la tégénaire des champs
L’enthousiasme de Corelie est contagieux. « Parfois je n’arrive pas à croire que ce soit mon travail, de faire ce que j’aime le plus: marcher dans ces prairies » dit-elle en embrassant du regard la million-dollar view du parc. Et nous sommes tout aussi privilégiés de faire partie des dix-mille visiteurs qui visitent les Prairies chaque année. Aussi, je bois toutes les informations qu’elle nous livre, mais la beauté du paysage me distrait facilement. Je suis d’ailleurs souvent la dernière, à prendre des photos de tout. C’est encore plus le cas aujourd’hui car j’étrenne du nouveau matériel et je m’emmêle maladroitement dans les bouts de ficelles qui traînent partout.
L’un des randonneurs m’attend gentiment. « En randonnée on ne laisse personne tout seul à l’arrière », me dit-il. Je le remercie et ajoute à ma suite d’attentions, à vie, des regards en arrière pour m’assurer que personne ne soit seul. Il me voit toute empêtrée et m’aide à me démêler. Dans les Grandes Plaines, ma maladresse est la bienvenue: je me fonds dans la grande famille de toutes les espèces au statut de préoccupation mineure.
Premières Nations, Métis et homesteaders
Notre randonnée avec Corelie est ponctuée de haltes témoignant de l’histoire de tous les peuples qui ont vécu sur ce territoire. Au sud de la Saskatchewan, l’on retrouve des traces de chasseurs de bisons datant de 10’000 av. J.-C. Bien avant l’arrivée des Européens dans la région, la province était peuplée par divers peuples autochtones: les Chipewyan, les Amisk et les Slaves (langue athapascan), les Cris et les Pieds-Noirs (langue algonquine) ainsi que les Assiniboine et Gros Ventres (langue sioux).
Au XVIIe, la traite des fourrures attire les Européens. Ils emmènent avec eux des armes à feu, des chevaux, mais aussi des maladies. Ces nouveautés ont un impact majeur sur le mode de vie des peuples autochtones et sur la population des bisons, qui se voit rapidement décimée. Ce siècle voit aussi la naissance de la Nation Métis: les descendants d’une union mixte, européenne et autochtone.
Vers la fin du XIXe, un processus légal est mis en place par le gouvernement canadien afin d’encourager la colonisation de la Saskatchewan 4. Les futurs fermiers, appelés homesteaders, achètent au gouvernement des concessions à un prix minuscule (10CAD pour 10’600 acres). En échange, ils s’engagent à construire une maison d’une valeur d’au moins 300CAD, à y vivre au moins durant trois ans et à y cultiver trente acres de terre. Une fois sur place, ils parcourent les Prairies à la recherche d’un piquet portant le nom de leur lot: une aiguille littérale dans une botte de foin!
Par la même occasion, le gouvernement canadien initie des négociations de traités avec les peuples autochtones afin d’établir des réserves. Suite à une très mauvaise gestion du gouvernement ainsi qu’à une période de sécheresse très difficile pour les récoltes, des rébellions éclatent.
Plus tard, Sitting Bull et plus de 5000 Sioux Lakota 5, fuyant l’armée américaine aux Etats-Unis, s’installent à Wood Mountain, dans les Prairies. Touchés par la famine, nombre d’entre eux retournent aux Etats-Unis. Les Sioux Dakota qui sont restés à Wood Mountain y ont établi leur conseil de bande.
Un peu d’histoire, pour aller plus loin…
L’histoire fascinante et détaillée de la Saskatchewan
L’histoire des Lakota / Dakota dans la Saskatchewan
Fossiles et dinosaures, à ciel ouvert
Dans l’après-midi, Brenda Peterson et Corelie Keller s’unissent afin de nous présenter la Badlands Parkway. Cette route de 11 kilomètres tout juste ouverte (juillet 2019) permet à ses visiteurs d’accéder aux points de vue et d’intérêt du Bloc Est en voiture. Car les Prairies sont avant tout un plaisir pour les yeux.
Les Grandes Prairies sont aussi zoo d’archéologie géant et gratuit: la région est particulièrement riche en fossiles et l’on y trouve, entre autres, un fémur de tricératops. Sur certains reliefs, l’on observe aussi la ligne de l’extinction Crétacé-paléogène (qu’on appelle amicalement K-Pg), une couche d’argile de quelques centimètres d’épaisseur contenant de l’iridium, un élément qui se retrouve en abondance dans les météorites.
Je crois avoir trouvé un fossile, que faire?
Les Grandes Prairies sont littéralement couvertes de fossiles! Afin de vérifier l’authenticité de votre trouvaille, léchez votre doit et appliquez-le durant quelques secondes sur l’objet: si celui-ci reste collé, c’est un fossile (plus poreux qu’une pierre). Surtout, ne le déplacez pas! Vous êtes invité à le photographier et à noter ses coordonnées GPS; vous pourrez ensuite les transmettre au personnel du parc. Un fossile laissé dans son environnement originel peut mener à des découvertes plus importantes.
Prendre part à la « Fossil Fever »
La Fossil Fever (fièvre fossile) est un événement annuel qui permet à tout un chacun de se joindre à des paléontologues pour une fouille. Durant la tournée, ayant lieu durant le mois d’août, tous les thèmes historiques de la région sont abordés. En savoir plus
L’expérience « terres lointaines » se poursuit une fois de retour. Brenda et Corelie multiplient les talents: l’une au banjo, l’autre à la guitare, elles connaissent tout le répertoire que l’on attendrait d’un feu de camp dans ces contrées. La majorité des visiteurs est là, à chanter et à déguster la bannique cuite au feu de bois et accompagnée d’un exquis coulis rhubarbe-framboise, préparé par Brenda, avec un amour certain.
Le Bloc Est et le Rock Creek Campground
- Comment y aller: Depuis Regina, le trajet vous prendra 3h30 en voiture.
- Où manger: Prévoyez à manger car il n’y a pas de supérettes sur place. Vous pourrez commander des paniers petit-déjeuner, dîner ou souper à préparer vous-même, pour une modique somme.
- Hygiène: Il n’y a pas de douche, mais vous trouverez, dans la partie supérieure du camp, des toilettes avec des robinets d’eau chaude. La camp propose de l’eau potable et un coin cuisine ouvert et partagé.
- Logement: amenez votre propre tente et van ou louez un tipi ou une oTENTik. Cette dernière est l’option la plus confortable et « luxueuse » puisqu’elle est aménagée comme une maisonnette et équipée de draps, sacs de couchage, coussins, électricité (et donc chauffage!), barbecue et chaises Adirondack.
- Activités: vous pourrez partir à la découverte des Grandes Plaines en solo, vous greffer aux marches interprétatives organisées par le personnel du parc ou découvrir la région à cheval, à kayak ou à vélo. Découvrez toutes les activités possibles sur le site de Parks Canada.
Le Bloc Ouest du Parc National des Grandes Prairies: où l’union fait la force
Au matin, nous nous rendons dans le bloc Ouest. Quelques ranches et terres agricoles le séparent du bloc Est, mais ces propriétés, dans l’ouest du Canada, tendent à être d’une superficie considérable. Aussi nous faudra-t-il presque deux heures afin de rejoindre Val Marie, 140 habitants, où nous attend notre guide, Michael Painchaud.
Avant, il y avait la mer
Michael nous emmène à la découverte du Bloc Ouest, dont le relief est sensiblement différent. Nous en découvrirons la cause lors d’une randonnée interprétative à la 70 Mile Butte, le point le plus haut du Parc National des Prairies. Il nous montre les blocs erratiques dans la vallée qui témoignent d’une langue glaciaire. Ici aussi sont régulièrement découverts de nombreux fossiles, mais ils sont marins.
S’imaginer la mer, c’est aussi s’imaginer l’immensité des prairies d’autrefois. Il ne reste des prairies natives du Canada plus que 20%, et celle que nous avons la chance d’embrasser du regarde est la plus grande: 907km2 d’une nature aussi fragile que magnifiquement forte. Vingt-huit espèces à risque. Septante variétés d’herbe. Cent-huitante types de lychens. Une survivante géante, arrosée de bien plus d’amour que de pluie.
Comme souvent en retrait pour prendre des photos, je rejoins mon petit groupe occupé à admirer la vallée d’une corniche. Une tache brune me saute aux yeux: « Et le bison là? ». Il s’agit probablement d’un jeune mâle recalé de la harde. Celle-ci restera insaisissable durant notre semaine dans la Saskatchewan, mais nous en aurons au moins vu un.
La réinsertion du bison d’Amérique
Le bison d’Amérique du Nord (quasi menacé) avait disparu des Grandes Plaines. Il y a été réintroduit il y a cent ans, et le programme a rencontré un franc succès puisque six-cent têtes de bétail piétinent le parc.
C’est cependant plus que ce qu’il en faudrait, et le cheptel en semi-liberté doit être géré. L’excédent de bisons est envoyé en priorité à d’autres réserves ou organismes de conservation, puis vendus à des privés et, finalement, mis aux enchères sur le marché public.
Vous avez peut-être entendu parler de Temple Grandin? Un film du même nom raconte la vie de cette femme autiste à l’origine d’un système de triage de bétail où sont appliquées des techniques réduisant leur stress.
Au parc, l’on a appliqué toutes les trouvailles de cette visionnaire. Les bisons sont si tranquilles qu’on les aperçoit paître aux alentours du centre.
À voir aussi, autour de la 70 Mile Butte
- Le grand iguane à petites cornes (préoccupation mineure). Si vous le voyez, estimez-vous chanceux! Ce petit être est extrêmement timide.
- Les peupliers faux-trembles, donc vous pourriez utiliser la poudre du tronc pour vous protéger du soleil.
- Des buissons de cynorhodon, utilisé notamment pour les confitures ou les infusions.
- Le crotale des prairies (préoccupation mineure) – En randonnée à la 70 Mile Butte, attention aux cailloux! Ce sont des cachettes idéales pour les serpents à sonnette.
Chiens de prairie et bisons, coyotes et blaireaux: les curieux couples des Prairies
Il paraît que dans le Bloc Ouest, le ciel étoilé est encore plus probant. Mais les colonies de chiens de prairies à queue noire (préoccupation mineure), petits rongeurs à l’air hyperactif, ont aussi le vent en poupe. Le lendemain, Caitlin Mroz nous emmène observer leurs activités cavernicoles. Cette guide passionnée passe six mois par année dans la Saskatchewan et, lorsque s’en vient le froid, elle s’exile dans les Caraïbes. Je l’envie un peu. Je ne devrais pas.
Les chiens de prairie creusent des tunnels dans le sol. Ils y créent plusieurs chambres, tassent l’entrée du bout de leur nez et s’adonnent même à un nettoyage de printemps peu conventionnel: il leur arrive en effet de manger leurs morts. Mais ce ne sont pas de mauvais bougres, ils sont même plutôt courageux. Afin de protéger la colonie, un chien de prairie se dévouera, au grand risque de sa vie, pour avertir ses compères d’un potentiel danger. Ces petits animaux sont capables d’émettre douze sons différents, chacun dédié à un type de prédateur différent.
Parmi ceux-ci, les blaireaux et les coyotes pratiquent parfois une chasse groupée. Le blaireau est plutôt lent mais creuse très vite alors que le coyote, agile et rapide, fend sur sa proie. Le chien de prairie fuira le premier en s’échappant de son terrier, et le deuxième en allant s’y terrer. Les deux prédateurs ensemble ont donc bien plus de chance que l’un ou l’autre remporte un butin. Cette association surprenante a été photographiée et documentée.
J’imagine que les chiens de prairie ont un son qui nous est particulièrement dédié. Si l’on s’approche trop de leurs terriers, ils jappent et frappent le sol de leur queue. Dans les passé, ils étaient éliminés en raison de la pauvreté des sols. Les chiens de prairie se nourrissant principalement de plantes, l’on pensait qu’il n’en resterait plus assez pour les troupeaux. Cette fausse croyance apporte aux petits rongeurs des admirateurs de taille. En effet, les bisons apprécient particulièrement les colonies, car l’herbe qui y pousse est certes très basse, mais délicieuse et fort nourrissante… puisqu’elle est amplement fertilisée par la colonie!
Les chouettes chevêches des terriers (menacées au Canada) profiteront à leur tour de l’enthousiasme des troupeaux en récupérant leurs excréments, qu’elles utiliseront pour camoufler leurs terriers. Ces rapaces très discrets souffrent du manque d’insectes causé par les trop grandes périodes de sécheresse. Il existe néanmoins un programme auquel l’on peut prêter main forte, Prairie Wind & Silver Sage: les dons perçus permettront d’acheter des souris congelées que les biologistes du parc iront déposer directement dans leurs terriers.
À voir aussi, dans le bloc Ouest…
- Cinq espèces de serpents, dont le crotale des prairies
- La pie-grièche migratrice (quasi menacée) – Aussi surnommée l’oiseau boucher, elle paralyse sa proie en la secouant, puis empale ses restes sur les épines, les branches pointues ou encore le fil barbelé.
- La petite chauve-souris brune (en voie de disparition en Amérique du Nord) – Elle niche sous les ponts et près de grands bâtiments. Le Syndrome du Museau (ou Nez) Blanc, une maladie dévastante qui se propage à travers tout le continent, risque bien d’avoir raison d’elle.
- La stipe comateuse – Vous retrouverez cette herbe partout sur vos pantalons et peut-être même dans votre peau: elle s’accroche en effet à ce qu’elle peut pour se disséminer.
- Le cactus mammillaria – Appelé pin cushion cactus en Anglais, pour la raison qu’il rappelle un coussin à épingles.
- Le mormon (probablement en danger) – Papillon difficile, il refuse de se nourrir et de nicher s’il n’est pas entouré d’eriogonum pauciflorum (branched umbrellaplant en Anglais) et de chrysothamnus nauseosus (rabbitbrush en Anglais).
Notre séjour dans les Prairies touche déjà à sa fin, mais pas avant un autre feu de camp, éducatif cette fois-ci. Kira Hiltz nous y raconte la vie et le déclin de la petite chauve-souris brune. Elle me permet aussi de goûter pour la première fois à des s’mores: des petits beurres entre lesquels on colle un marshmallow grillé et un carré de chocolat. C’est vraiment, vraiment sucré. Le soleil se couche, magnifique comme tous les soirs sur les Prairies, et nous allons chasser ses dernières lueurs derrière le camp.
Le lendemain, nous reprenons la route pour une dernière soirée à Regina, notre porte d’entrée dans la Saskatchewan. Nous apercevons une magnifique antilope d’Amérique (préoccupation mineure) qui fend les champs de blé sous de nos yeux. Quelle plus belle manière de dire au revoir à la province?
Je suis arrivée ici avec un rêve un peu enfantin et je repars avec des projets plus grands que moi: l’idée d’un jour me réintroduire, moi la survivante, dans la beauté ondoyante de tous les végétaux qui couvrent la Saskatchewan et former, avec tous mes pairs en danger des Grandes Prairies, une grande famille réhabilitée, dans la plus douces des harmonies.
Le Bloc Ouest et le Frenchman Valley Campground
- Comment y aller: Le camp de la Frenchman Valley est à environ 30km de Val Marie, qui elle est à 160km du camp Rock Creek du Bloc Est.
- Où manger: Il y a un restaurant chinois à Val Marie, mais je n’ai pas vu grand chose d’autre. Prévoyez des réserves ou commandez des paniers repas pour une modique somme au camp.
- Hygiène: Il n’y a pas de douche, ni d’eau chaude, ni de robinet dans les toilettes. Vous trouverez néanmoins un robinet d’eau froide à l’extérieur, face aux toilettes. Le camp propose de l’eau potable.
- Activités: des randonnées à thème sont proposées tous les jours, comme par exemple le Species at Risk, le Eagle Butte Trail Tour ou le Going, Going, Gone dont je vous parle dans cet article. Laissez-vous guider par des spécialistes passionnés et amoureux de leur travail. Découvrez-les toutes ici
- Combien ça coûte: il n’y a, à l’heure actuelle, pas encore de droit d’entrée perçu pour le Parc National des Prairies, mais cela sera bientôt mis en place. À noter qu’un pass annuel, d’une valeur de 60€, vous permettra d’accéder à tous les parcs nationaux du Canada.
- Si vous passez par Val Marie: faites un saut à l’office du tourisme! Vous y trouverez des piles de documentation utile et très bien faite, avec des listes à cocher pour noter les oiseaux et les plantes que vous apercevez.
En kayak sur la rivière Frenchman
La compagnie familiale Carefree Adventures loue kayaks et canoës sur la rivière Frenchman et dans d’autres coins de la Saskatchewan. Débutante, j’ai été guidée par John, très patient. Nous avons pu apercevoir un rat musqué (préoccupation mineure). Vous aurez peut-être la chance d’observer des porcs-épics, des cerfs ou des castors… Entre autres!
Préparer son séjour dans le Parc National des Prairies: précautions et packing list
Si vous vous aventurez seul-e dans les Grasslands, attention…
- Aux serpents à sonnette – Très discrets et craintifs, ils vous avertiront de leur présence à l’aide de leur sonnette s’ils se sentent menacés. En cas de morsure, vous avez trois heures pour trouver un hôpital ;)
- Aux bisons – Vous êtes suffisamment loin si votre pouce recouvre entièrement un bison à l’horizon. Ne tentez pas de vous en approcher plus…
- Aux petits cactus planqués au sol – Rien de très dangereux, mais ils se colleront à vos chaussures. N’essayez pas de les enlever avec vos doigts, c’est un piège.
Soyez respectueux de la liberté que vous offrent les Prairies! Vous avez peut-être été habitué à ne pas sortir des sentiers de randonnées. Dans les Grandes Prairies, on vous incitera souvent à faire l’opposé, afin d’éviter que des sillons se forment. En échange, ne prenez rien à la nature, pas même un petit caillou (qui en passant pourrait être un fossile).
Si vous repérez un fossile: Notez les coordonnées géographiques, laissez l’objet sur place et avertissez le personnel du parc à votre retour. Un objet recèle parfois un site de fouilles, et le contexte est parfois plus intéressant que l’objet en lui-même.
Que mettre dans mon sac pour un voyage en Saskatchewan?
Les camps ne disposent pas nécessairement de douche mais proposent l’eau courante (et potable). Prévoyez en conséquence une toilette adaptée.
N’oubliez pas l’habituel essentiel du randonneur: crème solaire, chapeau, anti-insectes suffisamment puissant (au Canada, ils ne jurent que par la marque Watkins), lunettes de soleil, veste de pluie et chaussures de marche confortable. En raison de cactus et d’herbes qui aiment s’enfiler partout, je vous recommande vivement des pantalons et chaussettes longs. Les habitués du Canada (tout comme les randonneurs avertis) savent que l’on s’habille bien lorsque l’on s’habille en couches en raison du temps facilement changeant: faites comme eux! Aussi, un petit kit de premiers secours n’est jamais une mauvaise idée…
Peut-être aimeriez-vous aussi lire…
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Références
1. Black footed ferret population in Sask. wiped out by drought, plague
2. L’Engoulevent d’Amérique (Chordeiles minor): évaluation et rapport de situation du COSEPAC 2018
3. Sask. puts a bounty on the wily coyote
4. L’Encyclopédie Canadienne – Saskatchewan
5. Wood Mountain on Wikipedia
6. Conservation de la Nature Canada – Aigle royal
Je me suis rendue dans la Saskatchewan dans le cadre d’un voyage de presse organisé par Tourism Saskatchewan. Les opinions et choix éditoriaux me sont propres.
Par Corinne Stoppelli
Je suis Corinne, un petit oiseau libre. Sans domicile fixe depuis 2010, je sillonne la planète à la recherche d'inspiration et de points de vue différents. Sur Vie Nomade, je partage mon regard sur le monde, le temps et le changement, d'une plume sincère et d'un objectif curieux et ouvert. En savoir plus?
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(7 commentaires)
Très bel article ! J’ai découverte le mot « Spermophile » :)
LOL :p Oui c’est un mot… spécial. Merci et bons voyages!
Mon dieu! Je te remercie pour cet article qui d’une part est très bien écrit et d’autre part très complet. Mais surtout parce que tu m’as fait revivre un paquet de moment du temps où je vivais au Canada (il y a 20 ans déjà looool). J’avais même oublié les Chamallows.
Vraiment très chouette de lire tout ça et de se replonger dans ces prairies si extraordinaire et pleines de vie… j’ai même encore du poil de bison dans mes cahiers que j’avais récupéré hahaha.
Merci, vraiment ravie que l’article soit un catalyseur à souvenirs :) Vivais-tu dans la Saskatchewan?
Ça donne envie d’aller roadtripper dans les prairies du Saskatchewan.
Ravie de t’avoir rencontré à Ottawa (pareil pour Benj) en espérant qu’un jour nos chemins se croisent à nouveau quelque part :)
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Merci <3 Tout le plaisir était pour moi, pour tous les deux! Et je suis certaine qu'on se croisera à nouveau quelque part :) Beaux voyages à vous!
Wow your photographs have certainly captured the wide open spaces in Saskatchewan.
Stunning photos:)