L'après de
la vie nomade

Salut des limbes

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Peut-on hiberner durant plusieurs années de suite? C’est la seule explication que j’ai réussi à me donner.

Hiver 2018, Berlin. Je me souviens des coups de vent qui traversaient les ruelles du quartier de Neukölln comme si c’était hier. Je me sentais caressée, mais je crois que j’étais plutôt hypnotisée, victime de quelque sortilège: j’ai été happée par Berlin et je n’ai jamais réussi à m’en extirper.

Je n’ai pas vraiment choisi Berlin, ni la vie nomade. J’étais pauvre, je venais de me séparer et j’étais à bout de force. Je n’avais nulle part où aller, alors l’errance est vite devenue ma norme. La vie a été une longue suite de failles à colmater. C’est peut-être pour cela que le vent de Berlin m’a autant marqué: c’est tous mes petits trous qu’il traversait, avec sa légère senteur de mer qu’il n’y avait que moi à remarquer.

Tour TV de Berlin

Je ne me suis jamais vraiment remise de mon retour forcé d’Asie en 2012. Ni de mon retour forcé du Canada deux ans plus tard.  Mais j’ai fait tout ce que je pouvais de ces années d’entre-deux à squatter à droite et à gauche. Le cat-sitting, les chambres d’amis, les voyages-travail contre logement et nourriture, les histoires d’amours qui m’offraient parfois un refuge (mais souvent sur des pilotis mal ficelés). Tout tenait comme un château de cartes qu’un petit souffle aurait terrassé.

Et je crois que, justement, le vent des ruelles de Berlin a emporté une partie de moi. La personne naïve et rêveuse que j’étais s’est éteinte à petit feu, à chaque rejet, à chaque misère. À Berlin, le vent et l’herbe fraîche sont doux sur le visage et sous les pieds, mais mon coeur lui, n’y a trouvé aucun repos.

La vie en ville, c’est un peu comme des sables mouvants: tu t’embourbes petit à petit dans les milliards de choses qu’elle te fait miroiter. Ses rencontres, sa musique, ses trains, son vert, ses rivières, ses oiseaux. À Berlin, on respire encore par endroits, et l’on se dit qu’il n’y a pas mieux que là, juste là. Et quelque part c’est vrai de Berlin, mais c’est aussi vrai de partout où l’on va, puisqu’il n’y a rien d’autre que cet instant, là.

Et puis l’instant en tire un autre, et puis un autre et, sans vraiment s’en rendre compte l’on s’assoupit petit à petit jusqu’à se fondre dans ses meubles et ses ruelles.

J’ai aimé tant de villes, mais je les ai toutes quittées. Il y a quelque chose dans le départ, dans le renouveau, dans l’idée de faire tabula rasa qui a toujours été plus fort. Si l’on pense n’avoir rien à perdre, tout ce qui est neuf est une promesse de vie meilleure, une nouvelle tentative de trouver un peu de paix.

Station de métro à Berlin

Mais la paix peut-elle se trouver dans l’immobilité, la routine, le calme? C’est certainement vrai pour certains, mais pas pour moi. Ma paix à moi, je la trouve dans l’impermanence parce que c’est ainsi que la vie m’a éduquée, dans un chaos étrange, dans un brouillard confus, dans un univers où je n’ai pas le codes. La paix, je la trouve dans la surprise, dans l’aventure, dans un acte de bienveillance, dans une graine qui germe, ou dans le vol d’un oiseau qui me rase le oreilles. Ces joies simples résument mon existence et, petit à petit, j’ai réalisé qu’elles étaient mon acte de résistance.

Etait-ce donc ça que je recherchais, dans cette course folle à travers les toits, les coeurs et leur absence? Etait-ce une version différente de la simplicité? Ma propre version de la légèreté?

En 2008 je n’avais plus rien à perdre et je me suis téléportée à l’autre bout de la terre. Seize ans plus tard, ai-je quelque chose de plus à perdre qu’avant? Ma seule certitude est que si je ne change pas les choses maintenant, elles vont simplement rester telles qu’elles sont. Si j’existe, je résiste. Et vice versa.

PS. Pour apporter un peu de contexte à cet article, mon diagnostic (relativement récent, même si je m’en doutais depuis de longues années) d’autiste avec TDAH, une vie à me sentir comme une alienne (oui, une alienne), la faim, et tout mon bordel de vie en marge… et les années qu’il m’a fallu pour faire suffisamment d’ordre dans mon cerveau pour réussir à écrire à nouveau (péniblement). Nom d’une pipe en bois. J’ai de nouveaux projets, je les formule comme je peux (lire: assez lentement), mais en très résumé: me casser… pour changer!

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Par Corinne Stoppelli

Je suis Corinne, un petit oiseau libre. Sans domicile fixe depuis 2010, je sillonne la planète à la recherche d'inspiration et de points de vue différents. Sur Vie Nomade, je partage mon regard sur le monde, le temps et le changement, d'une plume sincère et d'un objectif curieux et ouvert. En savoir plus?

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