Autisme, etc.

Je suis autiste mais je ne l’ai pas toujours su: un voyage à la recherche de mon identité et de ma culture

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C’est à n’y rien comprendre. Qui suis-je? Pourquoi la plupart des choses me demandent un tel effort, alors qu’une infime portion d’intérêts me fascinent, me séduisent, m’obnubilent, jusqu’à ce que j’en oublie, parfois, mes besoins vitaux. Comment ai-je pu tenir le coup durant toutes ces années, avec ma vie en bâton de chaise?

« Que fuis-tu? » me demandaient certains. Je fuyais tout, et je ne m’en cachais pas. Je répondais souvent « Pourquoi ne devrait-on pas fuir une situation inacceptable? »

Depuis toute petite, je n’avais qu’une idée en tête: me barrer, très loin. Aussi loin que rien ne puisse m’atteindre. C’est que la vie d’après la violence est empreinte d’une solitude toute particulière où la douleur semble se transmettre à qui nous entoure, comme une réaction en chaîne. Pour les protéger de ce qui est difficile à entendre (et alors que l’on voudrait plutôt pouvoir hurler), l’on se tait et l’on se conforme à une image plus lisse et moins pesante: c’est plus acceptable. Il semble d’ailleurs plus simple de s’effacer que de se faire perpétuellement rejeter ou brutaliser. Mais cela a un coût sur le long terme: oublier qui l’on est.

Déjà invisible, disparue, engloutie, qu’avais-je à perdre? Pour moi en 2010, tout se résumait à la vie. Appondre -nomade derrière ce mot, c’était lui donner au moins une constante: une direction à défaut d’un sens. À côté de mon corps, je ne voyais pas d’autre possibilité que de me construire un univers qui lui aussi était à côté. Quelque chose d’intangible que l’on ne pourrait pas m’enlever.

Et si la fuite était la seule chose dont j’étais réellement capable? Alors je l’élèverais au rang d’art.

Portrait de Corinne

Auto-portraits au Photomaton, 2003

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J’ai l’impression de toujours raconter ce qui m’a amené là comme ça, sans jamais lui donner un nom. Ma plume a suivi mon errance et je me suis fatiguée à la voir flotter dans la répétition. Oui, je voulais survivre. OK, j’ai survécu, et maintenant?

À la sortie de huit ans d’aventures nomades, je m’arrêtais en plein burn-out à Berlin. J’avais épuisé toutes mes resources. À ce moment je ne savais pas encore qu’il m’en restait encore un peu, et qu’elles allaient être encore triplement excédées après de multiples déménagements, des situations retournantes, flippantes ou franchement pas confortables. Et puis j’ai enfin réussi à trouver un lieu où dormir en paix, sans crainte, duquel il me restait un peu d’énergie pour travailler. Mes insomnies se sont arrêtées. Un toit (stable et sécurisant), de l’argent… et une thérapie, ça fait toute la différence. De ce confort relatif j’ai pu doucement me reprendre et commencer à sérieusement ouvrir les dossiers laissés en suspens, l’un après l’autre. 

Autisme, etc.

Le premier dossier, et le principal d’ailleurs, est titré autisme. Ce n’est pas une étiquette facile à porter. Grâce à mes « importantes ressources cognitives » (c’est la neuropsychologue qui l’a dit! Mais en toute honnêteté, je le savais déjà), je suis passée entre les gouttes: j’ai paru normale à la plupart. À la limite un peu bizarre, déjantée, à côté de la plaque, ou encore l’artiste. J’étais cette personne qui faisait constamment sa crise d’adolescence en retard, puis celle de la vingtaine, puis de la trentaine. L’on attendait que je finisse de faire toutes mes conneries et puis que je me remette enfin en place, bien rangée dans un tiroir qui gênerait moins.

C’était un travail semi-conscient à plein temps, de mettre sur pieds la comédie du paraître normale. J’ai étudié les autres êtres humains, aliens bizarroïdes dont j’ai rarement compris les intentions, les hiérarchies incongrues, les besoins. Je les ai étudiés dans les films, les séries, les livres, la rue, puis à travers les différents pays et régions visités. Je n’avais pas d’autre manière d’apprendre que de tester et me tromper, souvent à grands frais pour ma santé mentale. Les relations, c’était pour moi une alternance de sauts en parachute, de gros seaux d’eau glacée dans la face, de marches sur les braises, bref, vous avez compris.

J’ai découvert être autiste en 2015, après 32 ans à me sentir complètement à côté de la plaque, fausse, nulle, incapable, inutile, jetable, incompréhensible, compliquée, difficile, pénible, petite nature, chiante, demandante, etc. À l’époque je sortais avec P. dont vous vous souvenez peut-être. L’avantage d’être avec P. malgré tout, c’est que son père était autiste. Pour mon premier coming out, j’ai donc eu de la chance. J’ai été accueillie dans mes difficultés sensorielles par exemple, qui sont celles que j’ai pu comprendre en premier.

Portrait de Corinne

Auto-portrait avec un objectif pinhole, 2019. À partir de 2019, soit mon arrivée à Berlin, les photos de moi se font de plus en plus rares à mesure que je sombre dans le doute, les incertitudes et le bordel ajouté par COVID-19 dans ma colocation qui partait alors complètement en sucette.

Il m’aura fallu pas moins de huit ans afin de tout délier, de tout remettre en place dans ma tête (et ça continue), pour enfin comprendre qui je suis. Je n’avais pas les clefs malgré des recherches poussées et actives depuis l’enfance. C’est en 2015, à trente-deux ans, que je suis tombée sur mon petit graal: une liste immense de tous les traits autistiques des femmes et filles autistes (article publié en 2013).

Errance diagnostique et intersections

Je tiens à le préciser, car c’est on ne peut plus important: il n’y a pas que les femmes qui ont été trop longtemps ignorées par la recherche. Il y a aussi toutes les personnes racisées, la communauté LGBTQIA+, les personnes avec d’autres handicaps, etc. Et c’est sans parler de tous les faux diagnostics, de toutes les personnes diagnostiquées autre chose, prises en charge en psychiatrie parfois contre leur gré (et en ressortant encore plus traumatisées), laissées dans l’errance.

Pour moi, cette liste était le résultat de plus de vingt ans de recherches, car c’est sur mes douze ans que je les ai entamées. À l’époque je savais que quelque chose ne tournait pas rond et je me suis mise à étudier la psychologie avec les moyens du bord. J’ai lu les livres de Freud qui traînaient dans la bibliothèque de mon grand-père et Frankl (mon professeur d’Allemand m’a apporté un jour en classe « Découvrir un sens à sa vie »). Puis à l’adolescence, quand j’ai enfin eu accès à internet, j’ai trouvé les deux mots qui correspondaient à nombreuses de mes difficultés: dyscalculie (lien en anglais) et TDAH (Trouble du Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité). Pas complètement satisfaite, mais déjà soulagée d’avoir un début de piste (mais sans absolument savoir quoi en faire), j’ai continué de vivre à l’arrache, comme j’en avais l’habitude, sans soutien.

Et lors de cette fameuse année 2015 de la révélation, pensant que l’autisme excluait le TDAH, je ne me suis plus penchée que sur ce premier. Ce n’est encore que quelques années plus tard, grâce à l’expérience vécue par d’autres (et généreusement partagée), que j’ai pu comprendre que l’on pouvait être autiste et TDAH en même temps. 

La dernière pièce manquante (à date!) m’est arrivée il y a quelques mois: la dyspraxie. Celle-ci explique facilement mes accidents et difficultés de motricité fine qui n’étaient pas liés aux problèmes d’inattention du TDAH. Difficultés que j’ai aussi tenté de cacher dans le passé, et qui m’ont fait ressentir beaucoup de honte et de culpabilité.

Le handicap et les étiquettes

Si l’on n’a pas un nom qui décrit sa situation, on ne peut pas le googler. Avoir accès à toutes ces étiquettes m’a permis d’avoir accès à l’Information. Je mets un grand i parce que ces informations m’ont sauvé la vie. J’ai cessé d’être un problème, une personne anormale. Je ne l’avais jamais réellement été, mais c’est ce que l’on me renvoyait en permanence. Comprendre la teneur de mes difficultés, la comparer, la mesurer… Tout cela m’a permis de petit à petit sortir de la honte et de la culpabilité de ne jamais réussir à entrer dans le moule où j’étais attendue. Tout cela m’a permis d’apprendre à refuser des situations dangereuses ou abusives, de prévenir des crises, de me protéger avec les bons outils, de connaître ma valeur, mes forces, mes faiblesses et de composer avec.

Tout cela m’a aussi permis de comprendre l’ampleur du décalage avec le reste du monde. Lorsque nos handicaps sont invisibles, on refuse souvent de nous les accorder, niant notre identité et notre culture. Or mon identité est autiste. Elle ne peut pas en être autrement. Je suis autiste depuis que je suis née, mon cerveau ne fonctionne simplement pas comme celui de la plupart. Par extension, toutes mes expériences de vie sont celles d’un personne autiste.

Ma culture aussi, est autiste. Avoir accès à ces étiquettes m’a permis identifier d’autres personnes neurodivergentes, de lire ou d’écouter leurs expériences vécues mais aussi, souvent, de bénéficier de leur patience, leur compréhension, leur complicité, leur empathie et l’impression, enfin, de vivre sur la même planète. Briser la solitude intellectuelle peut sauver des vies.

Errance diagnostique, bis: un privilège

Il m’aura fallu sept ans (2023) pour enfin obtenir un diagnostic clinique pour l’autisme et le TDAH. Sept années durant lesquelles je savais déjà. Et c’est d’ailleurs savoir qui m’a permis d’accéder à ce diagnostic. C’est aussi d’enfin avoir de l’argent, car une démarche diagnostique privée coûte très cher. Dans le système public, les listes d’attentes s’étendent parfois sur des années. De plus, de nombreux professionnels ne sont pas au goût du jour et se basent sur des recherches dépassées. Le sentiment d’errance et la haute probabilité d’un échec ou d’un faux diagnostic est très élevée. L’accès au diagnostic est un privilège et l’on ne devient pas autiste au moment de recevoir une confirmation médicale. S’il y a un ou une spécialiste de nous-mêmes, c’est nous-même. Par extension, l’auto-diagnostic est valide. Au-delà de l’argent, il m’a fallu aussi le courage et l’énergie d’affronter une démarche complexe et émotionnellement éprouvante. Mais je vous en reparlerai plus tard.

Portrait de Corinne

Ückeritz, Allemagne, 2022

-nomade, la vie

« Que fuis-tu? » Me demandaient-ils donc. Et j’aurais voulu pouvoir leur répondre: « Je ne fuis pas, je cherche. Je cherche en dehors du système, des institutions, de notre société ultra-normée. Puisqu’ici je n’existe pas, je vais voir ailleurs si j’y suis. Je me jette à coeur perdu dans ce qui me passionne le plus en me disant que, peut-être, je trouverai d’autres gens comme moi. Je ne sais pas ce que c’est encore, être comme moi, mais je me dis qu’en essayant différentes choses, j’aurai plus d’opportunités de le trouver. Je cherche à comprendre ce que je veux, comment me sentir bien. Je cherche un peu de paix, de tranquillité, d’amour et de confiance. »

À travers ces huit années de voyage et les cinq années d’immigration à Berlin qui ont suivi, j’ai cherché l’identité que je n’avais jamais pu endosser. Celle qui aurait été trop gênante, trop compliquée pour les autres. Je suis allée fouiller dans tous mes souvenirs, un à un, à la recherche de ce qui me faisait me sentir fière et joyeuse et que l’on avait éteint à force de coups, d’intimidation, de pression, de moqueries, de honte, de harcèlement. J’ai dû patiemment me re-confronter à chaque acte de violence afin de comprendre ce que j’avais ensuite enterré par peur de représailles. J’ai dû attendre que les larmes cessent, que petit à petit je retrouve la voix, que je ressente de la compassion pour la première fois afin de pouvoir enfin voir clair dans le sac de noeuds géants de quarante ans d’errance. Ma vie nomade.

 

 

Aller plus loin…

Quand je n’écrivais plus ici, j’étais occupée à peindre des oiseaux qui racontent ce voyage intérieur, et à écrire des zines sur l’autisme, la neurodivergence ou encore le rapport au genre. Vous trouverez tout sur mon site Cocomoino, ou sur mon Instagram d’artiste @coco.moino. Mon préféré s’appelle Mon 1000ème coming out (et tous les autres à venir) – Sortir du camouflage autistique, réflexions. Pour l’instant tout est en anglais, mais s’il y a de l’intérêt, j’envisagerai de les traduire!

Zine sur le coming et le masking out autistique

Mon zine sur le coming et le masking out autistique

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Par Corinne Stoppelli

Je suis Corinne, un petit oiseau libre. Sans domicile fixe depuis 2010, je sillonne la planète à la recherche d'inspiration et de points de vue différents. Sur Vie Nomade, je partage mon regard sur le monde, le temps et le changement, d'une plume sincère et d'un objectif curieux et ouvert. En savoir plus?

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(3 commentaires)

  1. Josiane et Lionel dit :

    Quel texte….nous cela ne fait pas 20ans, nous aurions le même plaisir de partage si l’on pouvait se revoir. De gros bisous bien « Corsé « …. les chocolats

  2. manu dit :

    Mettre un nom sur les choses.
    Relier les pièces du puzzle.
    Découvrir des aspects de soi-même qui expliquent un parcour de vie.
    Ca peut être à la fois boulversant et libérateur.

  3. Sara Martin dit :

    Wahou❤️ tu es juste incroyable, tu as un tel courage, une telle détermination et un coeur immense à la beauté de la vie!!! Tu es une personne magnifique et ton côté « décalé », « bizarre », comme tu l’as dit, est ta force, ton charme et ton identité propre!!! Accepte le, vie le, et surtout ne cherche jamais à être dans la norme…. Tu es extraordinaire, au-delà de l’ordinaire, tu as une vision de la vie et des choses différentes et c’est ce qui permet au monde et aux personnes qui t’entourent de s’éveiller et d’aborder les choses sous un autre angle et de penser différemment, tu permet d’ouvrir les esprits!!! Ne change jamais qui tu es, et celui qui ne te comprend pas ou ne t’accepte pas, ou essaye de te changer, n’est pas nécessaire dans ton entourage….chacun son chemin. Tu as toujours été une très belle personne avec un sourire rayonnant et une joie merveilleuse!!! (et tu as une maman, qui à mes yeux, fait les meilleures lasagnes du monde)

    Gros bisous jolie Corinne Stoppelli

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