La vie
nomade

Être biculturel… et nomade

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Il y a deux ans, j’écrivais sur ma difficulté à répondre à la sempiternelle question « D’où tu viens? », qui fait partie du quotidien du voyageur.

Ma situation est assez simple: je suis née en Suisse, de parents fraîchement immigrés, d’origine italienne (napolitaine, même). En Suisse, la naissance ne vous lie en rien au territoire et dès lors, les couleurs de mon passeport sont italiennes.
En Suisse, nous avons la chance d’avoir quatre langues nationales, mais en dehors de l’Europe (et des fois même dedans!) tout le monde n’est pas au courant. Mes langues maternelles sont à la fois l’Italien (appris avec mes parents) et le Français (appris en société, à l’école).

En résumé, dans l’article sus-cité, je me plaignais de la difficulté à répondre, qui souvent nécessitait soit quelques phrases, soit quelques contradictions et, très souvent, un regard étonné voire incrédule de mon interlocuteur.

« Mais alors tu es Suisse? »
« Mais… tu te sens être plutôt d’où? »
« Ah non, toi tu es vraiment Italienne / Suisse! »
« Mais ta maison, c’est où? C’est où que tu retournes? »
« Mais pourquoi tu parles le Français? »
« So you speak French, or Italian? »

À la recherche d'une identité

Il est arrivé que mes amis soient eux aussi confrontés à ces questions, et ne sachent pas quoi répondre. Normal, moi-même je n’étais pas vraiment au clair!

Des années durant, j’ai été la Suisse en Italie, et l’Italienne en Suisse. Je m’en suis à tour de rôle défendue, vantée, montrée neutre. J’ai souvent laissé le choix à l’interlocuteur, peut-être par dépit.
Je n’ai jamais cessé de me questionner: est-ce mon parcours scolaire, mon domicile qui font que je suis « plus Suisse », ou alors est-ce mon éducation hors normes et tout à fait napolitaine, ainsi que mon amour pour les interactions très italiennes, qui font que je suis « plus Italienne »?

Dans cet excellent article, le Professeur François Grosjean, psycholinguiste, soulève la problématique avec clarté: la personne biculturelle est une savante combinaison de deux univers, elle en devient, de ce fait, inclassable.

Ce serait une vérité plutôt simple à accepter si seulement quelqu’un avait bien voulu nous en faire miroiter la possibilité avant (merci Professeur)!

Dans les yeux des autres, que j’appellerai les non-biculturels, nous sommes la plupart du temps amenés à choisir un camp. Professeur Grosjean le résume très bien: « Dis-moi qui tu es et je pourrai adapter ou non mon comportement au tien, essayer ou non de te comprendre, t’intégrer ou te rejeter. »
J’ai rencontré très peu de personnes qui avaient une sensibilité au problème et qui m’ont d’emblée affublé une double origine (mon amie Evelyne me décrit comme Italo-Suisse… elle avait compris avant moi)!

La personne biculturelle n’est ni la somme des deux cultures en question, ni le réceptacle des deux cultures distinctes, mais une entité qui combine et synthétise les aspects et les traits de ces deux cultures, et ceci de façon originale et personnelle. Elle a donc sa propre compétence culturelle, sa propre expérience et sa propre écologie. Ce n’est que lorsque cette réalité sera comprise et acceptée que l’on pourra enfin reconnaître pleinement la personne biculturelle et lui permettre d’assumer sa propre spécificité.
– Professeur François Grosjean

La subtilité qui vient s’ajouter à la problématique: lorsque l’être biculturel n’a plus de domicile fixe. « Ma maison, c’est nulle part et partout ailleurs ». Et la seule chose qui finit par nous rattacher à un lieu devient la position géographique de notre famille (qui s’est peut-être déplacée, elle aussi?) ou la nation envers laquelle nous payons nos impôts (heureusement, personne n’a encore osé m’affubler d’une appartenance financière).

Biculturels: Il ne reste plus qu’à se faire à l’idée, à accepter. Et somme toute, n’est-ce pas excitant? C’est une chance que d’avoir deux terrains à idées et de pouvoir y puiser ce qui nous semble bon.

Non-biculturels: J’aimerais vous dire que c’est une situation difficile. On se sent comme un étranger dans nos deux pays « mère », on ne sait pas trop se comprendre, s’identifier au reste du monde, on est souvent considéré comme une bête un peu bizarre. On ressent un besoin constant de répondre à cette question « D’où viens-je? » sans succès et parfois, durant des années. Plus l’on voyage, plus la question revient et nous remet face à nos doutes.
C’est une grande responsabilité que je vais vous donner là: ne catégorisez pas.

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Par Corinne Stoppelli

Je suis Corinne, un petit oiseau libre. Sans domicile fixe depuis 2010, je sillonne la planète à la recherche d'inspiration et de points de vue différents. Sur Vie Nomade, je partage mon regard sur le monde, le temps et le changement, d'une plume sincère et d'un objectif curieux et ouvert. En savoir plus?

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(19 commentaires)

  1. Evelyne dit :

    Excellent article!

    Il y a souvent quelqu’un à quelque part qui sait mettre les mots sur ce qu’on ressent (merci Professeurs, Philosophes, Penseurs, Sages de ce monde!). Des personnes qui ont souvent décortiqué les comportements humains avec une certaine logique scientifique et de belles théories certes, mais il n’en demeure pas moins qu’au final, elles nous aident parfois à mettre le doigt sur ce qui nous déchire ou nous inspire (ou du moins réussissent à mettre des mots là où on n’y arrive pas!). Je trouve ça rassurant, car c’est un signe qu’on n’est pas seul dans une bulle émotionnelle hermétique. D’autres se sont posés/se posent les mêmes questions!

    Pour terminer, je relèverai l’expression: « On n’est jamais content de ce que l’on a ».
    Parce que vois-tu, ma belle Corinne, moi j’ai toujours rêvé d’avoir été issue de deux cultures! Je trouve que c’est une richesse de connaître la vie sous différents angles, dans plus d’une langue qui plus est. Je réalise pourtant, après la lecture de ce billet et notre discussion sur le sujet, qu’en effet, les aspects négatifs de la recherche d’identité pour un être m’avaient échappé. On ne peut m’en vouloir, un rêve après tout, ça colore la vie tout en rose, n’est-ce pas? ;)

    • Corinne dit :

      Oui tu as raison, et c’est dommage que les pensées de ces gens là soient si difficile d’accès. Si l’on ne connaît pas l’existence d’un problème en effet, comment commencer à lui chercher des réponses?
      Mais à part ça, j’ai toujours été consciente de ma chance d’avoir deux cultures dans mon sac, et surtout la sud-italienne je dois dire, qui m’a souvent rassuré quand je ne me sentais pas à ma place en Suisse (quand je me sentais trop différente, je m’y rattachais et je me disais, bah moi je suis de là-bas finalement, où les gens se saluent dans les rues et communiquent en hurlant à travers les ruelles, là où il fait beau toute l’année, là où l’on vit sur les coteaux d’un volcan qui menace de nous raser à tout moment, là où règne le chaos, au coeur de l’Europe). Ma culture italienne a donc nuancé (coloré?) mon acquis suisse.
      Mais c’est surtout une lutte contre le regard des autres, de ceux qui ne comprennent pas… on ne sait pas forcément toujours bien s’entourer, mais à force de grandir on apprend ça aussi, et ça aide à embrasser sa propre différence.

  2. Ryo Fougere dit :

    Sympa l’article, voilà quelques années que je cherchais mes racines, étant Brésilio-panameo-suisse (oui, triculturel, je sais pas si ça se dit ) et qui somme toute se sent complétement à l’aise dans son pays de cœur, le Japon, dont je parle mieux la langue que l’espagnole ou le portugais. Donc à dire si ça a été un casse tête de définir mes racines.
    Mais j’ai trouvé, il y a pas si longtemps. Notre génération cherche ses racines car le monde est ouvert pour nous, que ce soit par internet ou par la possibilité de voyager plus facilement partout (comme tu le fais)
    en fait, on a effectivement les deux (ou trois ou 4 etc.) pays en nous, nos racines sont en nous et pas géographique. L’important n’est pas de savoir où on retourne, mais où l’on est sur le moment présent. Je crois que c’est la seule chose qui compte ^^

    Voyage bien, et merci de nous faire partager tout ça

    • Corinne dit :

      Haha, au moins mes parents sont nés… dans le même immeuble ;)
      Moi aussi je me sens plus à l’aise en Asie (plutôt à Taïwan, par contre). Et s’habituer à un lieu nouveau et si différent comme pour toi le Japon, c’est se rajouter encore une culture. On se complexifie constamment, mais je crois que c’est parce qu’on aime ça ;)
      Et oui, totalement d’accord, le moment présent, le lieu présent.
      Merci :)

  3. Tiphanya dit :

    Sans que ce soit exactement la même chose, il y a ceux que l’on nomme les third-culture kid, « to refer to the children who accompany their parents into another society ».
    Une très belle vidéo sur le sujet est disponible sur vimeo : http://vimeo.com/41264088
    Pour moi qui ne suis pas concernée (mais ma fille risque très probablement de l’être), c’était intéressant.
    L’un comme l’autre, je pense que c’est un enrichissement sans pareil.

    • Corinne dit :

      Ah très bien, merci d’en parler! Je connais ça, c’est assez proche de la problématique :) Je suis longtemps sortie avec un Chinois (déraciné lui aussi, parti vivre aux USA), et me suis souvent demandé qu’en serait-il de la culture de nos éventuels futurs enfants.

  4. Silecee dit :

    C’est marrant, j’en parlais justement avec un ami à moi il y a quelques jours. Il est franco-anglais et m’a décrit les mêmes sentiments que toi.
    Je n’avais jamais imaginé qu’ils puissent se sentir rejeter par les deux pays plutôt que l’inverse, mais en y réfléchissant, ce doit être une situation bien douloureuse.

    • Corinne dit :

      C’est la source de beaucoup de confusion en effet… du moins jusqu’à ce qu’on prenne conscience et accepte que l’on est un peu à part :)

  5. Oui, la solution est simple : Tu viens de la Terre (comme nous tous) et tu es donc une citoyenne du monde (comme nous tous aussi). ça te va comme solution ?.;-)

  6. Loyc Vanderkluysen via Facebook dit :

    En tant que bi-culturel moi-même, j’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce billet. Né et élevé en Suisse, j’ai très rapidement senti un rejet de mes camarades de classe, comme si la culture ne se transmettait que par les liens du sang. Cela m’a rapidement mené à rejeter complètement l’idée « d’identité nationale » et dissocier nationalité et citoyenneté. Mon passeport est un document légal auquel je n’ai pas d’attaches émotionnelles particulières. Pour moi, l’avénement des personnes multi-culturelles (ma nièce, par exemple, et quadri-culturelle) dans un 21e siècle hyper-connecté, signe la mort, à terme, du nationalisme. On ne peut pas former de sentiment national profond basé sur l’allégeance à la Nation chez ceux qui ne s’en réclament d’aucune.

    C’est finalement en arrivant aux Etats-Unis que j’ai compris que mes habitudes sont une synthèse complexe de mes traditions familiales belges et de mon éducation suisse. Et les Américains, eux, n’ont pas de problèmes à me considérer comme un des leur!

    • Corinne dit :

      J’aimerais être la pour voir ça arriver :) Et pour les USA, je constate aussi, même si je n’y ai passé que 4 mois. Le pays est tellement immense qu’au sein de lui-même les frontières administratives ne semblent signifier plus rien d’autre que du folklore.

  7. Piotr dit :

    « La personne biculturelle n’est ni la somme des deux cultures en question, ni le réceptacle des deux cultures distinctes, mais une entité qui combine et synthétise les aspects et les traits de ces deux cultures, et ceci de façon originale et personnelle.  »

    Je me reconnais parfaitement dans cette description. Il faudrait que j’ajoute cet extrait à ma carte de visite tiens :)

  8. merci Corinne pour ce point de vue très sympa. Cela m’a fait penser à l’ADN: un enfant a un peu de l’ADN de ses parents mais grâce à une combinaison unique, il devient un être unique à part entière. A cela s’ajoute son vécu, son expérience, sa vie en somme.mono-culturel , bi-culturel , nous sommes tous des êtres uniques, n’en déplaise aux partisans de l’uniformisation, voir du clonage..

    • Corinne dit :

      C’est marrant un proche m’a fait la même remarque. Mais pour moi c’est évident qu’être biculturel représente une couche de complexité en plus (à même titre que d’autres expériences qui influencent sur la perception que l’on peut avoir de son identité, par exemple l’identité sexuelle). Mais à part ça, oui nous sommes tous des êtres uniques. Certains se ressemblent cependant plus que d’autres :)

  9. Karine dit :

    Tu es tout simplement… toi.

  10. Michel dit :

    Je suis né au Québec de parents québécois. Evelyne et Anne, mes filles, sont nées au Québec de parents québécois. Et nous voilà au XXIème siècle où le monde s’est ouvert à nous. C’est certain que je me pose la question, pas sur le fait pour toi d’être bi-culturelle, ce qui pour moi serait un avantage, une richesse même, mais sur la vie nomade beaucoup plus que tu mènes. Est-ce le fait de ta « bi-culture » qui t’amène à te chercher d’autres endroits qui te conviendraient mieux ? C’est drôle mais ma question n’est pas « d’où viens-tu » mais plutôt « où vas-tu? ». Me sentant à ma place ici, de par mon enracinement, ma question est plus « que cherches-tu? ». Il y a les racines et il y a là où l’arbre grandit, un lieu unique. Je crois que lorsque tu l’auras trouvé, tes racines n’en sauront que plus vivantes. D’ici là « CARPE DIEM » !!

    • Bonjour Michel,
      J’ai probablement dû naître dans un vase :)
      J’ai longtemps cherché un endroit où m’attacher, mais plus j’ai cherché, plus je me suis détachée de tous les autres endroits auxquels je m’étais (mais si peu!) attachée dans le passé.
      Et moins je m’attache aux lieux, plus je m’attache aux gens. Aussi, ce que je considère comme ma « maison » désormais c’est près de mes amis, qui sont malheureusement épars aux quatre coin du globe mais dont la présence m’aide malgré tout à me sentir valide et vivante: de l’eau quotidienne dans mon vase.
      J’aimerais tous les regrouper dans un seul endroit et en faire un beau jardin, mais la vie en veut (heureusement pour eux :p) autrement!
      Je pense que je cherche juste un peu de paix dans ma vie. Jusqu’ici j’ai dû aller à ma rencontre sur des chemins un peu difficiles, mais maintenant je suis prête, il faut juste que je balaie toutes les feuilles mortes et me prépare pour le printemps.
      À bientôt j’espère, au Canada ou ailleurs! et bises à toute la famille!

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