À bord du California Zephyr, avec ma famille d’errants
C’est la suite de American Drifters: ceux qui attendent le train
On enlève ses chaussures, on se fait un coussin d’affaires piochées au hasard dans nos sacs. Certains ont pris leur coussin avec eux, et pour une certaine raison, les voir m’émeut (c’est comme s’ils avaient déplacé leur lit, leur maison, emporté un morceau intime de leur quotidien). On s’assure que les rideaux soient tirés, on se couvre de sa veste et, au son du roulement lent et régulier du train, on s’endort paisiblement.
Au passage du contrôleur à neuf heures, ce sont des gorges sans fin qui se déploient sous nos yeux. Qui, un jour, a eu l’idée folle de vouloir les creuser et d’y faire passer un train? Il n’y a rien. À peine un aigle ou une créature occasionnelle, c’est le désert.
Les poteaux électriques rythment le voyage et nous rappellent vaguement notre existence humaine, au-dehors du California Zephyr. Et je le sais, j’en suis sûre même, personne dans ce train n’y est indifférent.
Le conducteur annonce notre position d’une façon si fraîche et enthousiaste qu’on se croirait en croisière. À la base, c’en est une d’ailleurs, mais personne vraiment, n’en fait son premier objectif. Personne, ou presque, ne traverse le désert juste pour le traverser.
Au milieu de tous ces voyageurs, en route vers quelque part, pour qui le train n’est finalement qu’un moyen de transport comme un autre, je me sens pour un instant comme une bête noire, comme quelqu’un qui ne va nulle part. Pourtant je suis de passage comme eux, pourtant moi aussi j’ai des destinations et des objectifs en vue.
La différence peut-être, c’est l’attache que ces gens ont quelque part. Ils viennent de quelque part, ils vont quelque part, ils retourneront quelque part. Moi, je ne sais pas. Je ne sais plus vraiment d’où je viens, je ne sais pas où je serai dans un mois, je ne sais pas s’il existe une place que je puisse considérer comme le retour.
Des retours pour moi, il y en a des centaines. Tant d’endroits que j’aimerais revivre, tant de rues dans lesquelles j’aimerais sentir un agréable rayon de soleil sur mon visage, tant de paysages en mouvements, à dévorer des yeux. Je ne me lasse jamais, et pourtant je finis toujours par repartir.
Je sais déjà que le désert, que les gorges, les rivières ainsi que les sourires et les larmes des passagers du California Zephyr me manqueront, que je voudrais les retrouver, y retourner à un moment donné. Mais la magie de l’instant fait que j’y suis en mouvement, et que jamais rien ne sera plus comme avant.
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Par Corinne Stoppelli
Je suis Corinne, un petit oiseau libre. Sans domicile fixe depuis 2010, je sillonne la planète à la recherche d'inspiration et de points de vue différents. Sur Vie Nomade, je partage mon regard sur le monde, le temps et le changement, d'une plume sincère et d'un objectif curieux et ouvert. En savoir plus?
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(7 commentaires)
Je n’ai pas grand chose à dire, mais j’ai beaucoup aimé ce texte. Très émouvant. Bon et malgré tout, où seras-tu dans… 3 semaines ? :)
Merci Haydée :) Ben… aucune idée! La logique voudrait que je me trouve encore à Los Angeles, mais comme j’aime pas la logique, j’espère que j’aurai pu m’évader d’ici là.
Bonjour Corinne, je planifie de faire le California Zephir dans peut de temps comme dans 1 ou 2 semaines par exemples. A quelle période de l’année l’as-tu fait? Le temps est assez exécrable au niveau de Chicago en se moment, pense tu que sa joue sur le voyages (paysage…)
Merci d’avance ;)
Hello Myriam, je l’ai fait au moins de décembre. Je ne sais malheureusement pas si ça change quelque chose au niveau du paysage. À mon passage en hiver c’était en tout cas ensoleillé, dégagé. Bon voyage!
« Je me sens pour un instant comme une bête noire, comme quelqu’un qui ne va nulle part » :) Comme toi, j’ai apprécié la magie du mouvement et le fait de m’immiscer dans le quotidien de ces passagers qui savaient exactement où aller après avoir atteint la gare.
Très beau texte
Très émouvant ton article ! En même temps, au beau milieu de nulle part, du désert, seul pour 2 banquettes, avec le certain charme du train, on est obligé de se retrouver avec soit même et de se remettre en question. Surtout quand les autres savent et que toi tu ne sais pas. Je comprends tout à fait cette sensation…