Portraits
(a)typiques

La pure beauté du silence finlandais

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La Finlande, je l’imaginais comme la petite soeur, un peu moins en vogue, de ses voisines la Suède et la Norvège. Je l’imaginais comme un drôle de croisement entre ces pays nordiques et la Russie. Une mixture particulière, unique. Comme d’habitude je ne savais pas à quoi m’attendre. J’avais entendu dire que les Finnois étaient d’apparence réservée et froide, mais très accueillants et chaleureux. J’étais curieuse de voir.

En 2013, j’ai rencontré Mirje (lire Miryè), une Finlandaise douce et calme qui a elle aussi choisi une vie nomade, avec son compagnon Antti. Je les ai revus à plusieurs reprises par la suite, à l’occasion de mes voyages. Quand elle a su que j’allais visiter son pays, elle m’a proposé de venir passer quelques jours dans la campagne, là où elle a vécu.

Kokemäki

Dans la campagne autour de Kokemäki

C’est ainsi que je me suis retrouvée sur les bords de la rivière Kokemäenjoki, qui traverse la ville de Kokemäki (8’000 âmes) et qui, si on longe quelques-uns de ses bras glacés, nous escorte entre champs et arbres jusqu’à la maisonnette toute finlandaise de Mirje. Les premiers voisins sont quelque part, au-delà d’un bout de forêt, derrière un amas d’immenses blocs erratiques (il y en a vraiment partout) sur lesquels poussent de jeunes sapins, on ne sait pas trop comment.

Kokemäki

Les voisins sont quelque part, derrière ce rideau d’arbres

Mirje me raconte que certains hivers, elle chaussait ses patins à glace pour se rendre à l’école (à 40min de marche, tout de même). D’imaginer une fillette patiner sur ces sentiers inégaux, déserts et mélancoliques sur une aussi longue distance, m’a fait immédiatement penser à ces enfants de par le monde qui parcourent des kilomètres pour trouver un puits. Ici, pas besoin de puits (bien que les tuyaux n’aient été tirés dans toutes les maisons du quartier qu’il y a 10 ans) puisqu’il y a la rivière. Que nos réalités sont différentes, à juste un saut en avion de moins d’une journée.

Ma compagne est d’un naturel très calme. D’une réserve saine mais chaleureuse, assez difficile à expliquer. Avec elle pas besoin de combler les silences, pas besoin d’en faire des tonnes, pas besoin d’expliquer mes étrangetés ou de me questionner sur les siennes. Durant nos balades entre les bouts de forêts et la rivière, on profite pleinement du calme environnant, on se fond dans cette nature certes aménagée, mais avec respect et patience: on laisse la place à un vide salutaire qui manque trop souvent dans nos existences nomades. Notre course habituelle à l’effervescence, à la surprise et à l’apprentissage constant se voit mise en pause.

Dans les forêts de Finlande

À chaque retour dans sa maisonnette bien chauffée, encore toute enguirlandée, on passe tout notre temps en compagnie de sa famille. J’y retrouve cette même ambiance étrange: un sentiment d’amour puissant qui se propage entre les êtres, en surfant sur le silence. Plus au sud, nous avons besoins de mots, d’effusions de tout expliquer et de tout comprendre. Ici, il n’y a pas besoin de mettre des mots sur l’évidence. Tout me paraît tellement simple.
Cela me fait un bien fou, et à la fois me ronge de l’intérieur: c’est que je suis encore parfois, aux prises avec un passé chaotique où tout me semble avoir été une lutte contre des ennemis, visibles ou invisibles. Pas de fantômes ici. Pourquoi?

Ces gens n’ont pas vraiment choisi de vivre en marge de quoi que ce soit. Ils y sont nés et ils ont continué. Sauf Mirje. Elle a pris les routes du monde avec son mari il y a deux ans. La première fois que je l’ai rencontrée elle venait de faire le saut. Je me souviens de leurs inquiétudes, mais aussi de leur excitation et de leur fierté à avoir su faire un premier pas vers leur rêve commun. Aujourd’hui, je la vois au milieu de son univers natif et j’observe sa transition, d’un univers d’amour à un autre. Encore une fois, cela m’apaise et me remue: j’ai fui le chaos pour embrasser une recherche d’équilibre difficile. Elle n’a pas fui, elle a juste embrassé.

Cimetière à Kokemäki

Cimetière paisible à Kokemäki

Au moment où j’écris ses lignes elles s’est envolée pour de nouvelles aventures. Elle est en plein roadtrip américain avec son mari, et elle s’apprête à découvrir la Los Angeles que j’ai honni, que j’ai fui, comme la plupart des autres villes, pour m’y être encore une fois immiscée dans le chaos.

Et moi je revisite Barcelone la bordélique, la trop-pleine de gens, la chaude à l’extérieur et froide dedans. Je la connais désormais suffisamment pour en saisir ses paradoxes désagréables, ses tensions, ses luttes intérieures. Je la connais suffisamment pour voir à quel point, sous airs de fille du monde, elle est divisée, troublée, à la recherche d’un équilibre improbable.

Barcelone est comme moi. C’est une ville pleine d’amour à donner, mais avec beaucoup trop de peurs et de conflits intérieurs pour trouver une stabilité. C’est une ville à la merci du temps, qui lui répondra un jour, ou peut-être pas.

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Par Corinne Stoppelli

Je suis Corinne, un petit oiseau libre. Sans domicile fixe depuis 2010, je sillonne la planète à la recherche d'inspiration et de points de vue différents. Sur Vie Nomade, je partage mon regard sur le monde, le temps et le changement, d'une plume sincère et d'un objectif curieux et ouvert. En savoir plus?

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(9 commentaires)

  1. Très joli récit… Quand je vivais en Norvège, j’avais fait quelques randonnées avec des Finlandais et c’était ce qui m’avait le plus marqué : le silence, leur côté très calme (à côté du groupe espagnol, c’était presque un monde opposé). Et j’adorais partir avec eux parce que justement, c’était calme et on profitait tellement du paysage, des alentours que l’on s’en imprégnait vraiment…
    Merci pour ce partage :)

    • Corinne dit :

      Hello Mili et merci :) C’est exactement ça. Retourner à Barcelone entre la Finlande et la Suisse (aussi plutôt calme) ça m’est déstabilisant. Sans parler de la qualité de l’air, j’ai l’impression de m’asphyxier dès que je sors dans la rue, pouah! Globalement, il me semble d’avoir changé de continent.

  2. CarolineB. dit :

    Il est très beau ton article (comme toujours ^^), ça m’a remuée. Cet été lors d’un voyage de 2 mois un peu n’importe quoi qui a décidé de m’emmener là où lui l’avait décidé et tant pis pour mes plans, j’ai traversé la Finlande en stop de la Laponie à Helsinki pendant une semaine après une randonnée solitaire de 10 jours en autonomie qui m’avait fait passer la frontière de la Norvège à pied en pays sami. C’était la meilleure semaine de mon année et je suis tombée amoureuse de la Finlande pour toujours. C’est difficile de décrire ce peuple… c’est vraiment particulier. Entre le couch-surfing, les gens qui m’ont pris en stop et les rencontres de la route, j’ai toujours senti cette douceur, cette simplicité, cette gentillesse et cette étrangeté tout à la fois. Leur artiste fétiche, Tove Jansson, leur ressemble bien je trouve, son travail est comme l’essence de la Finlande.

    • Corinne dit :

      Merci Caroline :) C’est beau et enthousiasmant ce que tu racontes, merci de le partager. Je vais moi aussi découvrir la Laponie l’hiver prochain et je m’en réjouis comme jamais. Je ne connais d’ailleurs pas cet artiste, je vais aller me renseigner!

      • CarolineB. dit :

        Elle est surtout connue pour son personnage de Moomin qu’on retrouve partout en Finlande, mais j’aime bien tout son travail, c’est à la fois mélancolique et un brin effrayant tout en étant doux et enfantin. J’ai put aller à une expo sur son travail à Helsinki pendant que j’y étais et c’était vraiment beau de voir ses grands tableaux en vrai et les maquettes des personnages de Moomin qu’avait fait son compagnon.

        Tu devrais beaucoup aimer la Laponie j’en suis sûre!

        C’est grâce à des sites comme le tien que j’ai envie de partager mes voyages à mon tour. Ca m’a donné le coup de pouce pour assumer cette partie de ma vie qui ne s’épanouit que dans les voyages, et si à mon tour je peux faire partie de cette chaine de voyageurs qui donne envie aux autres je trouverais ça vraiment génial.

        • Corinne dit :

          Ah alors je vois très bien de quoi tu parles ;) J’ai vu toutes les fameuses tasses de Moomin qu’ils collectionnents, certaines à des prix carrément exhorbitants!
          Merci immensément pour tes mots, cela me ravit et je ne peux que t’encourager à le faire :) Rien que de lire cela en vaut le coup!

  3. Je ne sais pas trop quoi dire pour exprimer mes sentiments, à part que cet article m’a remuée aussi…

    J’ai mis un lien de ton blog sur le mien :) Ca ne te fera qu’une très modeste pub, mais je voulais te dire que ton blog est « un modèle » pour moi ; quand j’y passe, je me dis que même si les débuts sont difficiles, il faut que je m’accroche parce que ça peut être une super aventure, de faire avancer un blog à nos côtés :).

    • Corinne dit :

      Julie, un très très gros merci pour tes encouragements et tous tes commentaires de ces derniers jours, tu es comme une petite lumière qui passe et j’en avais bien besoin ;) (on en a toujours besoin!) Je t’encourage à t’accrocher!

      • Oh, merci à toi ! Tu réponds toujours tellement gentiment, et rapidement, à mes commentaires… Ta dernière réponse me touche tout particulièrement. Ca donne encore plus envie de continuer à te suivre ! :)
        J’ai eu mon premier commentaire sur mon blog aujourd’hui… Et c’est vrai que ça fait du bien ;). Ca nous valorise ; j’ai plus l’impression que ce que je fais a un sens maintenant…

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