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Une table pour une, à Bucarest: le voyage en solo, ça commence par un bon restaurant

Publié le • Dernière mise à jour:
Lors de mes premiers voyages seule, j’avais une appréhension incroyable à entrer dans un restaurant ou un café.

C’est la suite de: Une pause à Brasov, en Roumanie

C’était vraiment étrange, ce sont des circonstances tellement sociales après tout. J’ai mis des années à pouvoir le faire confortablement, et mon approche n’est encore pas tout à fait naturelle.

Lorsque je rentre dans un restaurant ou un café seule aujourd’hui c’est…

  • soit très fière: oui, je suis seule, je vis des expériences par moi-même, en la seule compagnie de moi-même et j’aime ça.
  • soit un peu pathétique: une table pour juste moi, s’il vous plaît, oui je suis toute seule et ça craint un peu, mais j’ai quand même envie de vivre cette expérience à défaut d’être en la parfaite compagnie.

C’est ma première soirée à Bucarest. On m’a chaudement recommandé le restaurant Caru Cu Bere pour une bonne bouffe bien roumaine. À l’entrée, je passe une porte tournante en bois à l’air antique, un peu étroite mais très haute. Je suis immédiatement envahie d’un sentiment de grandeur (ou de petitesse, selon le point de vue).

Caru Cu Bere, Bucarest

Le restaurant Caru Cu Bere

Le lieu est immense, avec ses plafonds et dorures baroques sur deux étages. Les serveurs trottinent partout, avec leurs plats soutenus en un délicat équilibre. Un groupe de musiciens en habits traditionnels met le feu avec des mélodies endiablées.

J’échange un sourire avec la belle chanteuse dont le plaisir d’être là se lit sur tout son visage, et puis je prends place à ma table pour une, d’où je vous écris.

« Pourquoi voyages-tu toute seule? En cette saison? » doit être la question que l’on me pose le plus souvent au cours de ce voyage.
Juste là, je n’ai que moi-même, alors je n’ai pas le choix, mais malgré tout je me sens bien avec ça. Il y a bien une pointe de nostalgie, je l’avoue sans peine, mais il n’y a plus cette peur glaçante qui me prenait il y a des années et que je comblais, un peu désespérée, en cherchant à tout prix n’importe quel inconnu pour m’accompagner quelque part. Je n’ai plus besoin de m’agréger à une présence improvisée.

À regarder derrière, je revois clairement ces moments de panique où, sans trouver personne, il fallait bien sortir pour aller manger ou changer d’air. Je choisissais souvent le supermarché et la popote improvisée à partir d’ingrédients inconnus, mais qui à l’emballage ou à l’odeur avaient l’air bons. Mine de rien, c’était une belle expérience aussi: la culture est aussi dans l’alimentation et, au supermarché, on se retrouve au plus près du quotidien du peuple.

Mais ces anciens moments, alimentés par le dépit après tout, étaient totalement influencés par mon entourage affectif.
Je me souviens par exemple, lors de mes deux années en solo, en Asie: j’y avais perdu toute peur de mourir. C’est que j’avais finalement vécu, plus que jamais. S’il m’était arrivé quelque chose, j’aurais été en paix.
Puis j’ai rencontré M. et la peur est revenue me bouffer. Non, je ne devais pas mourir maintenant, j’avais un million de choses à faire, à voir et à ressentir encore. Etrange, comme l’amour peut révéler un sentiment de vacuité. Pourtant, nombreux sont ceux qui pensent qu’il devrait le combler!

Caru Cu Bere, Bucarest

Les musiciens du Caru Cu Bere

J’ai alors tracé un lien entre les relations et la peur de la solitude, la peur de la fin. J’ai constaté que seule j’étais presque entière, presque complète. Accompagnée, j’avais creusé dans mon coeur une place plus que considérable pour l’autre, et immanquablement cela m’avait coupé d’une partie vitale qu’avant je dédiais à ma construction.
J’ai compris ça dans l’église de Cluj, à travers ces croyants comblant leur vide avec la foi. J’ai compris ça en me confrontant au vide énorme qui a suivi l’absence de P; le morceau qui me manquait après la rupture était un abysse. La réaction qui m’aurait paru la plus normale, dans le passé, aurait été de tenter de combler le vide par autre amour, par un autre dieu, par une autre raison.

Mais je me suis aussi souvenue de mes moments passés où, seule, j’avais atteint un sentiment de quasi totalité. C’était donc un fait possible, approuvé! Il me fallait simplement travailler à redevenir entièrement moi-même.
Partir en voyage seule, rester dans sa tête de façon prolongée, à travers l’agréable ennui des trains, des villes où l’on ne connaît personne, des moments au soir où l’on n’a personne avec qui communiquer, c’est une excellente façon de créer l’urgence de ne pas se perdre.

Alors me voilà, assise à ma table pour une, entourée de familles, de groupes d’amis et de petits couples, à plonger ma cuillère dans des saveurs inconnues, entièrement concentrée sur le ressenti, sans distraction aucune. Quelles rondeurs incroyablement plaisantes j’ai frôlé de ma chaise en bois, quel sentiment de force j’en ai tiré, de cette soupe aux haricots servie dans un pain qui, à chaque bouchée, s’imbibait un peu plus pour en multiplier l’exquise saveur.

Je me sens chez moi désormais partout, parce que j’ai confié tout mon besoin de réassurance à moi-même. Les villes sont devenues de simples villes, les habitants de simples gens. C’est partout pareil, en un peu différent.

On perdra toujours un peu de soi en confiant de précieuses parcelles de nous-même à des êtres choisis, mais c’est finalement une opportunité de se retrouver à la sortie, changés, pour le mieux peut-être. L’amour n’est jamais assez.

Ciorba de fasole en paine, Roumanie

Ciorba de fasole en paine (soupe aux haricots servi dans un pain)

Caru Cu Bere

Au coeur de Bucarest, dans un bâtiment historique (1879)! Caru Cu Bere est plus qu’un restaurant, vous l’aurez compris: c’est une expérience.
Adresse: Strada Stavropoleos 5

Lire la suite: Anatomie de Bucarest

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Par Corinne Stoppelli

Je suis Corinne, un petit oiseau libre. Sans domicile fixe depuis 2010, je sillonne la planète à la recherche d'inspiration et de points de vue différents. Sur Vie Nomade, je partage mon regard sur le monde, le temps et le changement, d'une plume sincère et d'un objectif curieux et ouvert. En savoir plus?

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(11 commentaires)

  1. C’est joli comme tout, et c’est surtout très honnête. J’aime, parce que tu ne montres pas que le côté fabuleux du voyage solo, tu en montres aussi les parties plus obscures, moins naturelles. C’est ce qu’il me faut, moi qui ne suis pas encore sûre d’être prête à sauter le pas !
    Merci pour ce partage, et pour cette bonne adresse ! L’atmosphère joviale et authentique transparaît à travers tes photos… Je retiens le bon plan pour quand j’irai à Bucarest !

  2. Gwen dit :

    Merci pour ces quelques mots qui rappellent l’essentiel : il ne tient qu’à nous d’être heureux, partout, accompagné(e)s ou pas… Si c’est un choix tant mieux, si c’est imposé faut apprendre à s’en contenter et ouvrir les yeux aux avantages !

  3. Tiphanya dit :

    Je n’en suis pas encore là, mais à te lire, je me dis qu’il suffit de continuer. Les salons de thé, les cafés, ne me posent pas de problème. Mais j’en suis encore au stade où je préfère les supermarchés au restaurant quand je suis seule. Bon je suis aussi de moins en moins seule.
    Je l’ai probablement déjà dit, mais qu’est-ce que j’aime te lire et me sentir finalement juste normale.

    • Corinne dit :

      Tiphanya, merci, j’adore! C’est ma plus belle mission je crois, qu’on se sente tous normaux. Ou plutôt non, qu’on se sente très bien avec nos anormalités! Quant aux restaus, vu le temps que ça m’a pris d’être plus au moins confortable avec ça (6 ans, quand même, haha) je dirais que oui, il suffit de ne jamais lâcher et de se forcer de temps en temps ;) La chose très drôle qui m’arrive, maintenant que je suis confortable, c’est que j’ai l’impression qu’on me donne beaucoup plus d’attention dans les restaurants (ils doivent suspecter une critique gastronomique, peut-être ;).

  4. Lucie A. dit :

    Oh Corinne, une fois encore tu touches si juste, tu sais y mettre les mots. Récemment, j’écrivais que voyager en solo, que vivre mon rêve au quotidien m’avait permis de ne plus avoir peur de mourir. J’ai seulement peur de ce que ressentirais mes proches, mais pour moi seule, je suis prête.
    Quant à manger seule, cela n’a jamais été trop compliqué pour moi. Je suis trop gourmande pour attendre de la compagnie! Hahaha. Salon de thé, cinéma, concert sont mes royaumes en solo. Il me reste à conquérir les bars.
    As-tu lu le post de Adventurous Kate sur le Champagne pour dîner en solo? Je trouve ça au top!

    • Corinne dit :

      Oui, il me semble que j’avais lu ça ;) Mais je ne suis pas fan de bulles, alors… Je prends un whisky :D J’ai carrément tenté le club, l’autre soir à Berlin. Gros fail.

  5. Alice dit :

    Superbe billet ! il me tarde de lire les autres :-) je m’envole pour la Roumanie dans quelques jours et je suis heureuse de lire quelques billets à ce sujet. J’aime ta démarche de faire du voyage un mode de vie. J’admire ton courage. J’ai souvent ressenti ce que tu décris au début de l’article : la fierté d’être seule et de s’en satisfaire et le sentiment de malaise qui peut aussi parfois survenir. J’ai déjà voyagé seule pour de longues périodes (3 mois c’était mon maximum) et j’ai adoré ça. Ton site est super inspirant, merci !

    • Corinne dit :

      Merci beaucoup Alice! Je me réjouis pour toi, j’ai hâte de revoir ma belle Roumanie… Je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas plus de monde qui s’y rend :) Et vive le voyage avec soi :)

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