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Mailyne ou l’amour comme moteur: une pionnière zéro-déchet à Ottawa

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Mailyne était une évidence: de ces personnages qui confirment qu’à prendre les rênes de sa vie, on change le monde doucement et pour le mieux. Il fallait que je la rencontre afin de mieux décrire cette certitude, afin de compléter la théorie d’une version différente. Alors j’ai suivi, depuis l’autre côté de l’océan, la piste qui m’aurait mené à sa force tranquille.

Dans sa présence en ligne, Mailyne est d’une franchise déconcertante. Ce qui l’a menée à ses choix de vie particuliers? Un vécu douloureux, de ceux qui te mettent en colère contre le monde. Quand on est raccroché à la vie par un passé tel que le sien, il faut trouver un chemin d’esquive inventif.

Mailyne, Zero Waste Lifestyle

C’est bruyamment accueillies par sa boule d’énergie de fils (un garçon vif au possible) qu’avec mon amie Evelyne nous avons franchi la porte de l’appartement de Mailyne, sis dans la banlieue tranquille d’Ottawa. J’étais un peu décontenancée par la nouvelle rencontre, dans l’intimité d’un chez soi inconnu, ainsi que par les mille choses que j’aurais voulu demander (mais aussi dire) à Mailyne. Elle brise la glace en m’invitant à m’asseoir à la petite table de son salon. Elle me propose un fruit, avec une douceur toute à elle.

Comment aborder des sujets tels que l’abandon parental, l’exil forcé, l’adoption, le rejet consécutif de deux mères, la disparition d’un mari? Dans un face à face avec une étrangère qui est là pour t’interviewer, où poser les limites? Mais je suis là avant tout pour elle, pour moi, et pour l’évidence qu’elle représente à mes yeux: Mailyne gravite sur une planète qui ressemble à la mienne. Le papier qui se tient entre nous est à la fois un détail et à la fois un témoignage capital pour notre petit univers: un signe de plus que tout est possible. Détendue par le morceau de melon qu’elle me tend, je m’ouvre comme un robinet pour lui livrer ma version de la douleur.

Un meilleur soi? Un soi que l’on aime.

« Oh oui, moi aussi! » Nos vies fondamentalement différentes mais difficiles nous ont mené à des choix drastiques, presque spartiates, comme des barres parallèles nous soutenant dans notre ré-apprentissage de la vie: une renaissance compliquée, une rigueur pour mieux se contrôler, se protéger, pour ne laisser s’échapper aucune des vieilles pulsions qui ont mis, autrefois, nos vies en danger. Un changement de perspective devient parfois un élément nécessaire à la survie.

Dans ces histoires de changement, il y a toujours un clash, un moment d’illumination curieux. Pour moi c’était un trajet en bus. Pour Mailyne, c’était de peindre pour la première fois sur une toile. L’évidence apparaît alors, la nécessité du changement prend forme et nous voilà lancés sur un chemin où soudain mille portes s’ouvrent, mille entrées qui nous étaient invisibles.
J’ai vu des gens se lancer à corps perdu dans le yoga, l’art, la marche ou même la cuisine comme s’il s’agissait d’un dieu ou d’un prophète guidant leurs pas. Je m’y suis vue passer aussi, à travers mes années de voyage.

Pour Mailyne, trois constantes: l’amour, l’art et la discipline, toutes reflétées dans les multiples facettes de sa personnalité.
Son idée de la renaissance? De mettre fin à tout comportement auto-destructeur, d’apprendre à s’aimer afin de pouvoir consacrer au mieux l’énergie récupérée à rendre son monde meilleur. Bref, se faire du bien en faisant du bien.

Mailyne, Zero Waste Lifestyle

Une vie plus minimaliste, sans déchets

Dans cette recherche de discipline, « d’alignement de ses émotions sur ses actions », dit-elle, Mailyne s’est lancé le challenge de produire un minimum de déchets. Outre la question écologique, un désir de réduire ses possessions à un minimum existentiel l’a animée depuis son plus jeune âge. C’est un objectif que tout nomade partage avec elle à travers sa vie dans une valise, même si (et elle en convient d’ailleurs) il n’est pas si facile à tenir.

La trace négative qu’elle laisse à l’environnement se résume, sur un peu plus d’une année, à ce pot de confiture. Ce qu’il contient? Pour la plupart, les petits autocollants qui ornent parfois les fruits et légumes. Au fond du bocal, je remarque deux emballages de boules Lindor « Oui, je n’ai pas pu résister… » me lance-elle d’un air timide et enjoué. Et je la comprends bien!

Zéro déchets, Mailyne

La somme des déchets de Mailyne tient dans ce petit bocal.

Mais comment fait-elle pour produire si peu de déchets? C’est un mystère pour moi, un accomplissement qui me paraît pratiquement surhumain. Et pourtant possible! Voilà quelques pistes, Mailyne…

  • consomme principalement des produits vegan (outre se rapprocher de son idéal, cela élimine grand nombre d’emballages en plastique)
  • fait ses courses avec un chariot rempli de bocaux de verre, avec lesquels elle achète au poids
  • réalise ses produits de première nécessité avec des matières achetées en vrac, dans ces mêmes bocaux, et cela va de ses hamburgers à base de haricots noirs à son eyeliner, ou encore son dentifrice
  • quand cela est nécessaire, ou que l’envie est forte, elle achète des produits dont les emballages ou les déchets produits sont soit recyclables, soit réutilisables pour la réalisation d’oeuvres d’art

L’une de mes premières interrogations? « Dieu que ça doit prendre du temps, de tout fabriquer soi-même? ». Peut-être que la vie d’artiste indépendante aide dans la gestion du temps. Pas vraiment: d’après Mailyne, l’investissement est grand au départ, au moment où il faut identifier la bonne recette et la réussir. Une fois la capacité acquise, l’ordre des choses se met en place. Certains des ingrédients qu’elle achète en pharmacie (comme le charbon actif) sont utilisés dans différentes recettes, de l’eyeliner au pigment pour la peinture, ce qui lui permet d’acheter en vrac. Au fur et à mesure, cette alchimie à l’air complexe se transforme en une simple habitude. Quelques minutes lui suffisent pour réaliser un dentifrice!

Et comment réalise-t-on ses propres produits d’hygiène corporelle? Pour le dentifrice, Mailyne mélange du bicarbonate de sodium à du xylitol et à de l’argile de bentonite. Son bain de bouche est une mixture d’huile de noix de coco et d’huile de menthe. À partir de la graine de lin, elle reconstitue la texture particulière de l’oeuf, pour ses nombreux petits plats. Je repense à mon artisan de Beit HaShita, qui réalise d’exquis fromages vegan à partir de noix de cajou. Combien d’alternatives à tout que nous, consommateurs dilettantes, n’avons pas à connaissance?

Le blog zéro déchets de Mailyne

Découvrez le parcours et les démarches zéro déchet de Mailyne sur son blog (en Anglais) A Dream Lived Greener. Vous y trouverez de belles réflexions et de bonnes idées. Cette vidéo-portrait réalisée par son amie vous offrira aussi une belle perspective de ses efforts.

L’art au service du bien-être de l’autre

Mailyne's Art

Une oeuvre de Mailyne

« Donner est un acte naturel qui me fait me sentir bien, et qui permet à l’autre de se sentir bien aussi » m’explique Mailyne alors que je la questionne sur l’origine de son projet A.R.T. In Action. L’enfance compliquée de Mailyne, adoptée par une tante aux Philippines et emportée au Canada, n’y est sans doute pas pour rien. Elle subit une très dure violence émotionnelle à travers une relation abusive avec sa mère adoptive. Je tisse facilement le schéma que je reconnais: aliénation causée par la souffrance, injuste culpabilisation, solitude existentielle la plus totale, déni de soi-même, désir plus ou moins conscient de disparaître…
Mailyne, comme moi, a trouvé sa chance dans la malchance: elle a tout changé pour le mieux. Mais dehors, combien d’autres enfants et adolescents se retrouvent ainsi isolés, sans une piste pour atteindre le bout du tunnel? Avoir à ses côtés une personne bienveillante, ne serait-ce que quelques heures par semaine, une personne qui nous permet de nous exprimer, de trouver un peu de lumière au fond de soi, c’est ce à quoi aspire Mailyne.

A.R.T. In Action est un projet qu’elle ne gère pas toute seule. Mailyne me confie qu’alors qu’elle entamait sa nouvelle vie, son entourage a petit à petit changé. Il s’est doucement reformé, non plus par des relations plus ou moins imposées par un contexte social, mais par des êtres qui partagent sa bienveillance, des êtres enclins à rendre leur univers meilleur. Mailyne a naturellement fédéré un groupe de talents de tous bords, heureux de donner et d’aider à donner.

À côté de cela, Mailyne a aussi son travail. C’est une artiste indépendante qui travaille sur différents supports, mais avec une spécificité: une partie de son temps, ou de l’argent gagné, alimente une bonne cause. Une belle façon d’établir un équilibre, de se réconcilier avec l’argent… et de réutiliser un certain nombre de déchets!

Mailyne's Art

Une oeuvre de Mayline, réalisée avec des déchets

Une artiste indépendante

Multi-facettes, Mailyne réalise de nombreux projets autour de l’art et de la création à travers son entreprise, Dream Love Grow. Sa spécificité? Une portion de son temps, ou de l’argent gagné est investi dans une cause. Elle applique aussi le concept zéro déchets à tous ses projets.

… et engagée!

Avec son projet A.R.T. In Action, Mailyne offre aux graines artistes et entrepreneurs d’Ottawa des cours et de l’aide pour surmonter les problématiques auxquels ils font face. « À travers A.R.T. In Action, la jeunesse obtient le soutien de professionnels du milieu créatif ainsi qu’un espace sûr pour explorer sa créativité et l’expression de soi, tout en inspirant à la confiance en soi et à la croissance personnelle. »

À la recherche de liberté

Ce qui façonne nos modes de vie aussi particuliers, étranges, parfois complexes? La recherche de liberté. Mailyne m’avoue que mon profil de nomade l’a encouragée à accepter ma visite; elle aussi a toujours eu de grands penchants pour le voyage. Son désir pour un parcours encore plus beau et minimaliste? Embarquer son fils pour une vie en van, et aller rendre visite à ses amis éparpillés de par le monde.

En prenant congé de Mailyne au bord de l’eau, à Britannia Beach, je l’imagine aisément dans son futur van un peu bohème, en compagnie de son brillant garçon, à sillonner les immenses routes canadiennes. Je suis envahie par un plaisant sentiment de paix intérieure, avec une nouvelle confirmation que j’avance dans la bonne direction: vers la liberté de vivre; vers la liberté d’être, de s’aimer, et de se laisser aimer pour ce que l’on est vraiment. Je lui souhaite bon vent, avec la certitude que nos chemins se croiseront à nouveau, quelque part dans notre univers un peu différent.

Mailyne, Zero Waste Lifestyle

Aller plus loin…

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Par Corinne Stoppelli

Je suis Corinne, un petit oiseau libre. Sans domicile fixe depuis 2010, je sillonne la planète à la recherche d'inspiration et de points de vue différents. Sur Vie Nomade, je partage mon regard sur le monde, le temps et le changement, d'une plume sincère et d'un objectif curieux et ouvert. En savoir plus?

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