L’île de Huahine, paradis des femmes: ses légendes, ses joies et ses senteurs
Je tire les rideaux de la cabine et sors en pyjama sur notre petit balcon. Le navire approche de Huahine qui, de loin, ressemble à un immense tapis de mousse dont l’océan aurait lentement léché les rives. Je prends une bonne bouffée d’air pacifique avant d’accueillir notre steward et l’immense petit-déjeuner dont le fumet efface définitivement toute trace de sommeil. Frais et dispos, nous rejoindrons ensuite le quai où nous attend Poe, notre guide pour la journée.
Un tour de Huahine haut en culture polynésienne
Poe nous accueille avec son 4×4 flambant neuf, fièrement estampillé « Poe Island Tour ». On se fait la bise et on saute sur les banquettes arrière où se trouvent déjà deux autres couples. On prend la route: une route qui suit la côte et qui traverse certaines étendues à ras la mer, qui épouse les contours et les couleurs de l’île. Tout semble parfaitement tenir ensemble, comme par magie aussi.
Huahine, terre de légendes
On raconte que le dieu Hiro coupa par mégarde Huahine en deux: Huahine Nui et Huahini Iti. Il y laissa plusieurs artefacts que l’on peut deviner dans les formes que prennent les rochers de l’île, comme sa pagaie… et son sexe (ou son doigt?). En Polynésie Française, d’anciens mythes ont laissé sur place un indéniable halo mystique. Presqu’aveuglés par le turquoise du lagon, isolés sur cet éden du bout du monde, on se laisse séduire par l’histoire parallèle de ce territoire vieux comme le monde.
On peut ainsi lire les mille facettes d’une île à travers l’histoire des livres et des faits, celle des chansons qui ont fait passer les mots et ce que nous inspirent nos sens afin d’apprécier le savoureux mélange qui en tresse irrémédiablement la destinée.
Quant à ces dames, si elles sont reines de cette histoire, c’est peut-être pour le profil de l’île qui rappelle celui d’une femme enceinte. Ou (peut-être) parce que lors des sacrifices rituels des temps anciens, les femmes étaient épargnées, rendant leur population plus importante.
Huahine, terre d’abondance
Ici, les fruits de la terre et de la pêche semblent nous attendre, prêts à être cueillis et dégustés. Le 4×4 longe les innombrables plantations de pastèques, d’igname, de bananes et d’ananas. Les cocotiers, omniprésents, délivrent occasionnellement l’un de leurs fruits aux passants.
Les anguilles sacrées de Huahine
Il y a sur les îles de Polynésie une variété de récolte aux formes et aux goûts curieux. Une grande partie est due aux importations des colons qui s’y sont sont succédé ou (peut-être aussi) à la présence des anguilles sacrées que l’on peut observer à Fa’ie. Ces grands animaux peu farouches représentent l’abondance et seraient à l’origine des cocotiers comme de la pureté de l’eau.
Quant au produit de la mer, il y a toujours quelque barque de pêche au loin, quelque cabanon, et même d’ingénieux pièges à poissons traditionnels… Au-dessus desquels il suffirait presque de se baisser pour ramasser la nourriture la plus fraîche qui soit.
Huahine, terre de croyances: les maraes et le rapport à la vie et à la mort
Avec Poe l’on découvre les sites historiques de l’île, notamment le Fare Pote’e, une maison traditionnelle polynésienne en pandanus, mais surtout les marae les plus importants de l’île. Sorte de forum d’alors, le marae servait de cour d’assise, de lieu de rassemblement ou de culte. Il était construit sur un territoire sacré, le vavau, où étaient aussi érigés les tikis, des figures de pierre abritant l’esprit des dieux ou des ancêtres.
Les maraes inspirent aujourd’hui encore respect et parfois crainte. Certains prétendent qu’on y ressent une énergie particulière, car c’est ici que l’au-delà pouvait entrer en communication avec le vivant. C’est aussi ici que l’on pratiquait des sacrifices humains afin de se garantir de bonnes augures.
Lorsque le christianisme est arrivé, bon nombre des pratiques d’alors ont été abolies, mais les traditions n’ont pas été oubliées. L’on s’est petit à petit connecté à nouveau (ou sans doute jamais vraiment déconnecté) à cette énergie positive que l’on appelle le mana: un pouvoir spirituel qui lie les ancêtres et les hommes les uns aux autres. L’on ne sacrifie plus personne depuis belle lurette par contre, je vous rassure?
Pour Poe, ce retour des croyances est une bénédiction: elle aide les nouvelles générations à prendre soin de leur patrimoine et de leurs terres et de s’assurer qu’elles restent ainsi dans la famille afin que l’esprit originel de l’île demeure intact. À Huahine et sur de nombreuses autres îles du Pacifique, les terres se passent de génération en génération. Pour sa petite taille (74km2), chaque parcelle de cette mère porteuse est existentielle au bien-être des habitants et se doit d’être préservée et bien entretenue.
La vie et la mort dans l’imaginaire polynésien
La Polynésie Française compte d’innombrables rites, mythes et récits liés à la naissance et à la mort. En voici quelques-uns…
- À la naissance, le placenta est conservé afin d’être enterré sous un arbre, soit fruitier, soit aux vertus médicinales. L’arbre porte donc l’esprit et la bénédiction des ancêtres et crée un lien entre la nature et l’homme.
- Les morts s’enterrent à la maison. Leurs tombes se trouvent dans le jardin,
ils feront ainsi partie à jamais de la terre qu’ils ont habité. - Dans de lointains temps, l’on pensait que les âmes suivaient une migration précise. Il y avait un point d’envol, un point d’arrivée et il n’était pas rare que l’on déplace des corps afin de s’assurer qu’ils puissent suivre leur itinéraire.
Huahine, terre de senteurs: tiare, vanille et noix de coco
La tiare tahiti, reine des fleurs
En venant au monde, l’enfant sera bercé par la délicate odeur de la tiare tahiti déposée dans son berceau. Fleur endémique de Polynésie Française, elle est connue pour être l’ingrédient clé de la fabrication du monoï. Première comme dernière, elle ornera aussi le cercueil lors des funérailles.
La beauté des fleurs est un élément coeur de la Polynésie Française: elles ornent le quotidien et sont portées au cou, sur la tête ou derrière l’oreille. Ainsi dames comme messieurs laissent derrière eux une trainée fraîche et réjouissante.
La noix de coco et ses multiples vertus
Et puis il y a la noix de coco, ou simplement la coco, comme on dit ici. Fruit aux milles vertus, son huile est aussi utilisée pour la fabrication du monoï ainsi que d’autres soins du corps; elle est bien entendu dégustée de mille manières allant de la boisson rafraîchissante au lait agrémentant le poisson cru. Difficile d’emploi à première vue, la technique pour l’ouvrir reste assez simple. Je repartirai grâce à Poe avec un secret de survie des plus utiles.
La vanille, or noir de Polynésie
Bien que l’île de Taha’a soit la plus réputée pour sa vanille (on la surnomme d’ailleurs l’île vanille) on la cultive aussi à Huahine. La famille de Poe compte quelques artisans producteurs qui nous permettent de découvrir leur plantation ainsi que tout le processus de séchage.
La production en est particulièrement étonnante: aussitôt qu’une orchidée a fleuri, il faut la féconder manuellement à l’aide d’un petit piquet de bois ressemblant à un cure-dents, mais plus épais. Les agriculteurs doivent donc parcourir tous les jours leur plantation, aux aguets pour une nouvelle fleur. Si tout s’est déroulé correctement, de grosses gousses vertes feront leur apparition. Elles noirciront au fil du processus et seront récoltées encore épaisses afin d’être finalement séchées au soleil.
Que faire avec la vanille de Huahine?
Un rhum arrangé. Une sauce crème – citron – vanille pour votre filet de thon frais, votre rôti de boeuf ou votre soja fumé grillé. Des pâtisseries, évidemment! Et rien ne se jette: les gousses vidées peuvent être découpées en petits morceaux pour parfumer le sucre de votre café…
Huahine, terre de joie et de beauté
Au-delà de la beauté d’apprendre et de rêver aux anciens temps dans un univers si lointain du nôtre, Poe nous communique l’amour et la gentillesse du peuple de Huahine et d’un village (grand comme une île!) où le monde se connaît et s’entraide.
Elle nous communique aussi sa joie en nous apprenant les rudiments du tamure, la danse traditionnelle de Polynésie et en s’invitant (nous invitant par la même) à rejoindre un petit groupe de fêtards en bords de plage. « Vous avez un ukulele? » Et la voilà qui chante, et voilà qu’on a déjà l’opportunité de pratiquer les pas de danse que l’on avait juste appris, et voilà que tout le monde rit et célèbre le plaisir du moment sous un arbre au bord du bleu du lagon.
Et puis il y a le plaisir simple de rouler le long de cette terre inconnue et de l’immensité de l’océan, de côtoyer les motus (îlots coralliens), de s’arrêter aux plus beaux points de vue de l’île et de respirer, dans la fraîcheur du vent, toutes les odeurs portées par la terre et la mer.
Huahine, terre de saveurs: spécialités polynésiennes
La journée n’aurait pas été complète sans goûter aux saveurs de l’île. Aussi, Poe nous invite chez elle afin de nous faire déguster quelques spécialités locales avec beaucoup d’art. Elle nous présente un apéritif (un jus de banane et d’ananas bien frais), divers petits plats mais surtout une exquise salade de fruits et de thon cru de sa conception: soit tout le bonheur de Huahine glissé dans un seul plat!
À l’heure du repas, on se sent comme chez une amie, on se sent comme à la maison. En plus d’être une excellente guide, Poe est une femme inspirante qui a su tourner la vie à son avantage en faisant les choses qu’elle aime le plus, en y croyant très fort et en y mettant le paquet.
Huahine en pratique
- Sur Huahine, Poe est la seule à proposer des tours culturels qui passent par les artisans et je la recommande très très chaudement. Cette expérience a largement été la plus belle de notre voyage!
- Si vous désirez plus d’informations sur les mythes, les croyances et les légendes (mais aussi les fruits et le plantes) je vous recommande la lecture fascinante du site Tahiti Heritage: une vraie mine d’or.
- Afin de poursuivre vos lectures pacifiques, je vous invite à découvrir mes autres articles dans les rubriques Polynésie Française et Îles Cook. Bonne lecture!
- Et finalement, ce voyage m’a été rendu possible grâce à l’agence Voyage de Légende, spécialiste de la Polynésie Française (entre autres). Je me suis rendue à Huahine sur l’une des croisières du Paul Gauguin. Découvrez le récit de ce fabuleux voyage dans mon Carnet de voyage – Îles de la Société et Îles Cook!
J’ai été invitée en Polynésie Française par l’agence Voyage de Légende et les Croisières Paul Gauguin. Opinions et choix éditoriaux me sont propres.
Par Corinne Stoppelli
Je suis Corinne, un petit oiseau libre. Sans domicile fixe depuis 2010, je sillonne la planète à la recherche d'inspiration et de points de vue différents. Sur Vie Nomade, je partage mon regard sur le monde, le temps et le changement, d'une plume sincère et d'un objectif curieux et ouvert. En savoir plus?
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(14 commentaires)
Le voyage qui fait rêver de bout en bout ! J’aimerais beaucoup faire une croisière au moins une fois dans ma vie, je trouve que c’est une expérience de voyage tellement différente de ce qu’on connait. Et puis Huahine a l’air d’être un endroit magnifique ! J’ai d’ailleurs lu ton article avec beaucoup de plaisir, notamment les passages où tu nous en apprends plus sur les croyances et les us et coutumes de la population de cette île. Et enfin, le tour culturel que vous avez fait avec Poe a effectivement l’air d’être une expérience aussi superbe qu’enrichissante ! Bref, tu m’as donné envie de tout faire pareil, quoi :))).
Hello Léonor, merci beaucoup <3 Effectivement c'est une expérience vraiment particulière: un espèce de microcosme se forme au fil des jours sur cet hôtel flottant, et quand on aime observer les gens c'est génial! Je te souhaite un voyage en Polynésie (ou en croisière ailleurs) vite fait alors ;)
Hihi, ça me donne encore plus envie (: ! Merci à toi ! Bisous
J’étais en train de chercher des idées de destinations pour 2018 quand je suis tombée sur ton article sur mon feedly, et la j’ai vraiment envie d’y aller ! Dommage que la Polynésie française soit si loin de l’Europe, mais elle reste dans ma liste des destinations à visiter absolument !
Super, car cette île mérite clairement une visite en profondeur! C’est loin, mais ça vaut le déplacement ;) Je te souhaite de très beaux voyages pour 2018, et pourquoi pas le Pacifique!
Bonjour Corinne,
Je pars 3 semaines en Polynésie en juillet et votre blog est une mine d’or!
Je garde en mémoire le contact que vous indiquez et le nom de Poe. Elle a l’air géniale, j’espère avoir la chance de la rencontrer.
Belle journée à vous
Sophie
Bonjour Sophie, merci pour votre message et contente de savoir que vous vous rendrez dans ce magnifique coin du monde! Je vous souhaite une bonne découverte!
Tes photos sont magnifiques, très beau récit, ça donne envie d’aller se perdre dans ce petit coin de paradis …
Merci Clara!
laorana
Merci pour cette belle ballade à Huahine c’est celle que j’aime j’y vais et j’y retourne 5/6 fois depuis presque 20 ans et cette fois ci j’ai acheté un terrain pour y vivre . Tu as rencontré Poe belle journée il y a aussi JP Junior son frére qui lui fait le tour de l’ile en pirogue à la journée avec super pic-nic les pieds dans l’eau au motou de la famille Amo le père JP sénior, il y a 15 ans env j’avais fait une belle journée avec la famille et Mina la mère assurait bien aussi , j’ai habité à la pension Poétaina en 2005 .Je retour en septembre sur cette l’ile authentique pour construire ma futur maison j’espére aussi revoir Téri pour découvrir les rondos dans ce paradis .Il me tarde de pouvoir te lire encore et encore à bientôt .MAXIME
Iaorana Maxime! Merci pour ces gentils mots et surtout profite bien de ton retour sur cette île magnifique! Je t’y souhaite une vie belle heureuse!
Merci pour votre partage. Être en France et lire et voir des beaux récits qui témoigne notre île ce n’est que bonheur un peu de soleil de Polynésie. Merci
Bonjour Corinne,
Merci pour ce joli voyage. Il y a une info que je ne trouve pas. Les anguilles sacrées vivent-elles en liberté ?
Merci encore pour ce partage !
Bonjour Sarah! Les anguilles vivaient en liberté dans la rivière, mais étaient nourries.