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El Born, sur la petite place: instants volés à Barcelone

Publié le • Dernière mise à jour:
Il me regarde de façon inquisitrice. Je n’arrive pas bien comprendre pourquoi, alors je le lui demande « Pourquoi me regardes-tu de cette manière? ». Je ne sais pas ce qu’il se passe dans sa tête, et à vrai dire, j’ai aussi du mal à comprendre ce qui trotte dans la mienne.

C’est un moment un peu suspendu dans le temps comme dans la température. Les vieux quartiers de Barcelone sont étouffants. La chaleur semble se transmettre entre les murs bien serrés de sa vieille ville. Mais ici, dans le quartier d’El Born, sur cette petite place ombragée par quelques arbres, sur ces drôles de chaises en osier vertes, on se croirait ailleurs.

De petites choses blanches tombent et font contraste sur ma jupe bleu marine. Je lève les yeux au ciel. «  Il y a des trucs qui tombent de cet arbre! ». Il acquiesce, sans un mot. Je secoue ma jupe pour les faire tomber au sol, de temps en temps.

Le temps passe, doucement, calmement. Trois personnes âgées s’asseyent à côté de nous. Il se lève prestement pour remplacer leurs tabourets par des chaises plus confortables. Les vieux sont ravis, et encore plus enchantés quand ils reçoivent leur commande de Schweppes.

« Toi aussi, tu boiras du gin tonic sans gin quand tu seras vieux, hein? » Il rigole. « C’est un sacré phénomène de mode quand même, ces gin tonics par ici, hein? » Il me répond que oui, que ça l’ennuie, parce que maintenant dans les bars, ils ne sont plus foutus de faire un gin tonic normal. Ils te donnent un de ces gins tonics aromatisés à ceci ou cela, alors que tu n’as rien demandé de tout ça. Oui, je m’en rappelle, il me l’avait déjà dit.

Barcelone

Il y a quelques temps, dans ce quartier, un inconnu m’avait craché dessus. Je ne sais pas pourquoi je repense à ça. Je marchais avec mon amie et il m’est venu derrière, puis il m’a craché sur la nuque. Je me suis retournée, et je l’ai vu marcher dans la direction opposée et rapidement s’enfiler dans un bâtiment. Je me souviens que je ne savais pas trop s’il fallait que je l’insulte, que je le poursuive, que je fasse quelque chose quoi. J’avais décidé, peut-être malgré moi, de rester immobile.
J’avais raconté mon histoire à plusieurs personnes d’ici. Il se pourrait qu’il voulait simplement m’attirer dans ce bâtiment pour me voler mes affaires.

Je secoue encore ma jupe. Je croque quelques olives piquantes. Un noyau se casse dans ma bouche et c’est un peu compliqué d’identifier ce qui est noyau et ce qui ne l’est pas pour réussir à l’extraire sans que ça soit trop dégoûtant. Je m’excuse. Il se moque de moi « Tu avais si faim que ça? ».
J’écoute les bribes de conversations à droite et à gauche. Pas trop de catalan aujourd’hui, mais je suis quand même un peu fatiguée pour essayer de comprendre.
Un vieux type s’arrête à notre table et lui marmonne un truc incompréhensible. Il lui répond non. Le vieux type reste planté là quelques secondes et puis s’en va.

Tout d’un coup, de l’agitation dans la petite place. On entend une femme crier, et un homme jurer « Hijo de puta! ».
Il se lève d’un bond pour voir ce qu’il se passe. Je me contente de tourner la tête. Une dame s’est fait arracher son sac à main. Mais en quelques secondes tout est redevenu normal. Mes voisins de table me demandent s’ils ont réussi à récupérer le sac à main. Je ne suis pas sûre mais ça me semble logique, alors je réponds que oui.

Je reprends mon observation tranquille. Les arbres, les choses qui en tombent, les drôles de gens qui passent en poussant leur vélo, les conversations de mes voisins de table, et puis lui, avec ses drôles de regards inquisiteurs.

Je suis fatiguée. Je prends congé. Je rentre à ma petite chambre dans le Raval.
Le voisin d’en face (on vit presque l’un chez l’autre, même si nos immeubles sont séparés par une ruelle) écoute de la samba à plein tube. Les pakis(tanais), en bas, semblent encore s’engueuler. Le roulement d’un skate résonne en un bruit assourdissant jusqu’au quatrième étage, sans gêne. Des touristes discutent, quelque part. Un gamin répète toujours la même rengaine. Une maman appelle toujours le même gamin.

Bienvenue à Barcelone, mon nouveau chez moi temporaire!

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Par Corinne Stoppelli

Je suis Corinne, un petit oiseau libre. Sans domicile fixe depuis 2010, je sillonne la planète à la recherche d'inspiration et de points de vue différents. Sur Vie Nomade, je partage mon regard sur le monde, le temps et le changement, d'une plume sincère et d'un objectif curieux et ouvert. En savoir plus?

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(3 commentaires)

  1. Sirhom dit :

    Salut Corinne,
    merci pour ce bref passage dans la rue Barcelone. Léger, tout en sensations, dedans dehors, toujours près du centre, en contours ondulants et vaporeux. Comme ta jupe qui vole un instant.
    Une autre pièce du puzzle dont on sent qu’on ne les aura jamais toutes.
    Je ne sais pas si c’en est le charme, mais ça crée un appel:)

    • Merci, ça me fait plaisir :) J’aime bien laisser la place à l’imagination, alors si c’est réussi, mission accomplie! Je m’imagine que chacun peut le ressentir ou le percevoir d’une façon très différente. L’ennui, la fatigue, le choc culturel, la curiosité envers l’autre, le paysage, ou quelque chose d’autre chose que je n’ai même pas pensé, peut-être, mais que j’ai glissé dans les lignes malgré moi… Parfois j’essaie de me relire avec une opinion neutre, en essayant de m’imaginer ce que je pourrais moi-même ressentir si c’était ailleurs, pas vécu, inconnu… Mais cela me dépasse très vite. C’est, et ça restera, pour les autres. Si je pouvais obtenir un super-pouvoir, ce serait certainement d’aller voir ce petit film dans leur tête, car c’est ça, le résultat du travail, une sorte d’oeuvre invisible :p

      • Sirhom dit :

        Alors si ça peut te faire plaisir, je peux te donner deux réfs qui ont nourri mon imaginaire à la lecture de ton article. A voir écouter, revisiter si tu connais.
        Lisbon story de Wim Wenders
        Milano de Nobukazu Takemura
        On doit pouvoir trouver ça sur le net…
        J’aimerais bien que tu me dises ce que tu en penses, s’ils te passent entre les doigts:)
        Il y a un peu de tout ça dans le film que je me suis fait. A tes super-pouvoirs…

        ++

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