Histoires
d'ailleurs

Tour noir. Tout blanc.

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Au moment de quitter à contrecoeur cette Berlin qui s’est enfilée au plus profond de moi, l’heure est aux remises en questions. Parce que mes émotions déboulent avec un temps de pause, comme si elles étaient trop intenses pour m’éclater à la face dans l’immédiat (pourraient-elle me tuer?) j’ai l’habitude de me retrouver face à une belle tapisserie d’incongruités en last minute. C’est l’éternel trac de monter sur scène alors qu’on l’a fait toute sa vie, c’est le « Merde je fais quoi maintenant? » quand on a raté un vol et qu’on n’a pas de plan B.

J’ai parlé de mon amour pour Berlin à tort et à travers aux amis comme aux passants. Je l’ai décrite comme une soeur jumelle, comme une âme soeur. Je l’aime et je n’ai aucune envie de la quitter. Mais je suis une femme terriblement impulsive et rancunière: quand on me blesse je disparais, je m’envole, je me dématérialise et je jure que l’on ne m’y reprendra plus. Tout noir, tout blanc.

Après les deux années misérables qui ont suivi le ciel qui m’était tombé sur la tête à Barcelone (cette chère amante), j’étais restée comme en suspens, sans dessein, à me traîner à travers la vie en suivant la corde comme s’il s’eût agi d’une via ferrata infinie. Jusqu’à ce qu’un ultime coup du destin me fasse crier « C’est fini ces conneries, ou bien? ». J’avais décidé de mettre en pause mes éternelles fuites et de me concentrer à remettre de l’ordre dans ma vie, dans mon corps. Ici, à Berlin.

J’y ai passé trois mois à me retrouver, à panser mes plaies, à déverser à petites gouttes le trop-plein. Berlin, qui a chaque voyage me balançait une suite d’événements spectaculaires digne d’acrobaties de cirque, a su cette fois se montrer patiente. Elle m’a livré rencontres et petits plaisirs au compte-goutte, une lente et douce réhabilitation, une detox spirituelle.

Et puis la réalité m’a rattrapé. Les conflits d’intérêt, les loyers trop élevés. À nouveau sur un qui-vive que je n’avais pas la force d’affronter, j’ai comme souvent choisi la disparition. Et après tout, ici ou ailleurs, qu’est-ce que ça change?

Un bar à Berlin

Souvenir d’une bulle de bonheur berlinoise où se mélangent tous les plaisirs.

Mais ça change tout. En 2012 j’avais dû quitter, malgré moi, Taipei. Et le désir d’y retourner m’a poursuivi pendant de longues années. Je n’avais que Taïwan en tête, c’était l’obsession. De ma coloc’ à Québec, l’année suivante, j’avais effectué tout un paquet de démarches pour pouvoir y étudier le chinois. J’avais été acceptée dans trois universités, toute ma paperasse était parfaite. Mais de mon passeport italien et de ma résidence suisse, je m’étais faite refouler: à l’ambassade italienne on me blâmait de ne pas être résidente en Italie alors qu’à l’ambassade suisse, on me blâmait de ne pas être suisse. J’avais dû remettre le plan à plus tard, à si tard que j’en oubliai le confort d’être dans un lieu qu’on aime sous toutes ses coutures et ce malgré ses griffures et usures diverses. Et j’ai erré.

J’ai erré jusqu’à Barcelone. Puis j’ai erré jusqu’à Berlin. Puis j’ai… Non, ça ne va plus. Mon coeur est dans le vent du Pacifique et Berlin est ma maison de repos. Le Pacifique est encore loin, aussi loin que la guérison complète. Berlin m’ouvre les bras comme une amie sincère et s’il y a quelque chose que j’ai appris malgré moi durant ces années de déroute, c’est qu’il faut parfois laisser sa fierté de côté et accepter l’aide qui nous est tendue.

Alors d’accord, Berlin. Je reviendrai.

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Par Corinne Stoppelli

Je suis Corinne, un petit oiseau libre. Sans domicile fixe depuis 2010, je sillonne la planète à la recherche d'inspiration et de points de vue différents. Sur Vie Nomade, je partage mon regard sur le monde, le temps et le changement, d'une plume sincère et d'un objectif curieux et ouvert. En savoir plus?

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(3 commentaires)

  1. Auriel dit :

    La découverte de votre blog est un enrichissement pour moi. Merci à vous, l’âge que j’ai atteint me donne encore le plaisir de découvrir une personnalité comme la vôtre.Merci de vous livrer ainsi , avec franchise, honnêteté et authenticité, ce qui rend votre expérience encore plus belle. Bonne chance dans la Vie, dans votre vie et qu’elle soit toujours plus belle et conforme à vos aspirations.

    • Corinne dit :

      Cher Auriel, avec beaucoup de retard (ma vie orageuse!), je vous remercie pour votre commentaire enourageant! Je vous souhaite tout le bonheur du monde en retour!

  2. Sifhel dit :

    Berlin est une ville que j’affectionne tout particulièrement. Pourtant je suis plutôt branchée sud de L’Allemagne en général. C’est une ville qui a beaucoup de choses à offrir, en particulier en ce qui concerne l’art et l’histoire.

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