La vie
nomade

Ma maison sur un voilier?

Publié le • Dernière mise à jour:
Il y a deux ans, je vous écrivais de ma première maison temporaire sur un voilier. Dans le petit port de Torrevieja, mon instructeur me laissait maître à bord tous les soirs.

Alors, soit je fermais ma petite écoutille de l’intérieur pour me préserver du froid et m’isoler dans une rédaction salutaire, soit je la fermais de l’extérieur pour aller discuter avec mon ami marin de la place d’en face, me balader sur le ponton ou câliner les quelques boat cats temporaires.
Une constante: le choc rythmé des cordages sur les mats. Dieu, que j’aime cette symphonie! C’est l’effet cheminée de chalet sur l’eau, le signe que l’on est chez soi. Une autre constante? Le roulement léger du bateau, une berceuse des plus sensuelles, propre aux rêveries en tous genres…

« Je dors sur un voilier et je pense à toi. Les remous dans le port bercent mes nuits. C’est beau, ici. Les étoiles, le vent et moi, sur le ponton. Trop seule peut-être. J’aimerais que tu sois là, marin. Qu’on fasse l’amour au large, sur le pont peut-être, ou sur une île. J’aimerais que tu prennes tout l’espace de ma petite cabine, que tu combles ce vide délicieux mais étrange. Que tes regards fassent briller mes yeux, la cale, la surface de la mer. Mais j’exagère sans doute. Tout ça, c’est de la poésie. »

Voyager en voilier

Et aujourd’hui, où je vais? J’ai laissé la mer pour quoi, pour qui? Deux ans ont passé depuis la dernière fois que j’ai senti les embruns me fouetter la face. Deux ans que je m’extasiais sur les dauphins qui jouaient, au loin. Deux ans que, dans le froid humide d’une nuit en mer, je rêvais aux navigateurs d’antan, à leurs étoiles. Tout est possible. Ou plutôt, tout n’est pas impossible.

J’ai oublié les leçons apprises. Mais je n’ai pas oublié avec quelle facilité on peut les dévorer, avec quelle faim l’on peut traverser les difficultés. Je n’ai jamais oublié le gros coup de fouet de la survie, l’adrénaline qu’elle te procure: tu es un survivant. Il y a quelque chose de certainement malsain là-dedans, dans cette obsession de repousser ses limites, de tendre vers cet instant vacillant comme l’insecte vers la seule ampoule allumée. C’est peut-être cette même lumière qui m’attire vers le nord, la nuit polaire, le froid glacial, la solitude, l’incompréhension des autres: autant d’obstacles à dépasser. Autant de dangers, toujours surmontables. Mais pour quoi, pour qui?

Voyager en voilier

Et là je m’imagine franchir le passage de Drake alors que je ne suis même pas foutue de sortir un voilier du port. Et c’est un détail, car tout s’apprend. J’aime les risques, certes, mais pas ceux qui sont inconsidérés. J’aime m’entraîner pour les terrasser, les mettre à plat d’un gros coup de poing. Je ne serai pas inconsciente, j’apprendrai.

« Alors me voilà dans le Drake. Un premier iceberg. Le temps est vraiment dégueulasse, comme attendu. J’ai envie de vomir depuis environ 17 heures mais je tiens le cap vers le Pacifique. La mer? Ma mère ingrate. Le vent? Ma voix, mon sang. Ma liberté, de vivre ou de mourir ici. Mais pour quoi, pour qui? »

C’est ainsi que je l’imagine. Il y a un peu de soleil de temps en temps, des vagues bien entendu, il y a la vitesse de mon petit voilier, l’eau salée glacée qui de temps en temps me paralyse la face et le vent, le vent qui ne me laisse aucun répit. Je devine mon chat se terrer au fond de la cale, les griffes bien plantées sur un coussin. Il a l’habitude d’être secoué, mais là je crois qu’il regrette le poisson bien frais qui se balance dans son estomac.

Voyager en voilier

Je me vois seule. Pour la première fois de ma vie, je me vois seule. J’ai vaincu l’ennui et la solitude et je ne saurai me l’expliquer. Comment? Les trains de mes autres mondes m’auraient-ils guéri? Ou serait-ce la violence de l’autre, le coup de trop?

Comprenez que si je m’y vois seule, ce n’est nullement une condition. C’est juste que pour une fois, mon départ se fera sans dépit aucun, que je sois seule ou non. Et la personne qui s’ajoutera à mon équipage, pour trois semaines, 20 mois ou pour la vie – cette femme, cet homme, ce chat? – sera un bonheur, une volonté et une curiosité ajoutés aux miens. Quand on n’a plus d’attente, tout vient en extra, non?

Qui sait dans quel était d’esprit je lèverai l’ancre de L’Equilibre. Qui sait si les directions seront celles que j’imagine aujourd’hui. Il y a huit ans, je rêvais à la douce illusion d’une vie nomade. Il y a six ans, je l’accomplissais. Aucune raison donc, que dans deux ans, je ne sois le capitaine d’une maison flottante.

Nous sommes le 22 février 2016.

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Par Corinne Stoppelli

Je suis Corinne, un petit oiseau libre. Sans domicile fixe depuis 2010, je sillonne la planète à la recherche d'inspiration et de points de vue différents. Sur Vie Nomade, je partage mon regard sur le monde, le temps et le changement, d'une plume sincère et d'un objectif curieux et ouvert. En savoir plus?

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(16 commentaires)

  1. Audrey dit :

    La mer, les voiles et les marins (hum) ont la part belle dans nos conversations. Que c’est bon de lire ces quelques lignes d’une passion commune. Les sons des cordages contre le mât, c’est la mélodie du bonheur pour moi. J’aime me promener dans un port rien que pour ça. Ça m’apaise et m’éveille. Tout à la fois.
    Je souhaite que ton projet aboutisse et t’épanouisse. Je serai heureuse d’être ton moussaillon, capitaine.

    • Corinne dit :

      Je t’imagine souvent avec moi, couchsurfeuse d’exception sur ma maison flottante! On se cuisinerait des gnocchis et on câlinerait le chat. Et on rigolerait vachement bien :)

  2. Violaine dit :

    Bel article Corinne!
    Je n’ai jamais tenté cette aventure du voilier, et pourtant j’ai lu plusieurs récits -dont le tien- ces derniers temps qui m’ont donné l’envie (le hic c’est que j’ai vraiment le mal de mer ahah).
    C’est très inspirant et la poésie te va bien! :)
    A bientôt,
    Violaine.

    • Corinne dit :

      Merci beaucoup Vio’ :) Ah le mal de mer, ça craint c’est clair. Je ne l’ai ressenti qu’une fois dans ma vie heureusement… Et je suis ultra-sensible aux médicaments contre le mal de mer: en gros si j’en prends un faut que j’aille dormir direct :p

  3. Laponico dit :

    Beau projet, surtout pour aller découvrir les mers du nord, naviguer entre les icebergs, vivre comme les explorateurs d’antan…par contre je flipperais du mal de mer, pour l’avoir déjà ressenti sur un voilier plusieurs fois (par gros temps), quelle horreur…mais bonne chance, j’espère que t’auras de quoi Snaper tes voyages :-)

    • Corinne dit :

      Ouiii, je pourrai aller vraiment partout avec ma petite maison! Et alors avoir de quoi snapper, ce serait le pied ;) J’ai répondu à Vio plus bas sur le mal de mer, haha.

  4. Salut Corinne,
    Quel bel article, plein de poésie. Je t’admire de vouloir partir en voilier. Je n’ai pas le mal de mer, mais j’ai peur du grand bleu en dessous de moi. Finalement, je préfère les roadtrips, les bus et les trains ;)
    Bises,
    Martina

    • Corinne dit :

      Bonjour Martina, merci! J’avoue, j’ai peur de l’eau profonde, mais tant que je suis dessus et pas dedans c’est totalement OK ;) Mais les voyages sur terre, c’est aussi quelque chose! Un jour, pilote peut-être? ;) Salutations!

  5. michel chaput dit :

    Bonjour Corinne.Félécitation pour ton formidable périple autour du monde ,comme je te trouve chanceuse de réaliser un tel projet et je te dit bravo car tu t’est permis de vivre tes rêves les plus fou , tu sait j’aurrais tant aimé vivre un tel périple , mais j’aurrais 63 ans au mois de juin et le rêve est devenu plus une réalité a affronter au jour le jour que de penser faire un tour du monde mais l’envie n’est pas partie elle est encore la profite au max de cette liberté et te dit encore Bravo ,excuse les faute d’hortographes ca fait partie de moi

  6. emmanuel dit :

    Bonjour. J’étais à la recherche de témoignages, de renseignements « pratiques » à propos de la vie quotidienne sur une maison flottante, et je suis tombé sur vos textes de Février 2016. La poésie, la transcription des états émotionnels qui vous assayent, des petits et grands combats m’ont énormément séduit.
    Lorsque que je peux m’offrir deux, ou trois mois de « break », je pratique la vie en autarcie le long de littoraux sauvages, pratiquant la chasse sous marine avec parcimonie, pour me nourrir, mais la plongée en apnée pour me nourrir: fréquentant et me fondant dans une vie naturelle, fréquentant les animaux terrestres sauvages, sans cesse agacé, ému, mort de rire quand ils s »approchent, poussés par leur curiosité, leur faim..
    J »éprouve, vit, beaucoup des processus que vous décrivez au long de vos récits. Mon dernier voyage le long d’une île plutôt sauvage de Bornéo, dans la mer des Célebes. m’a offert en rencontres animales , ce que peu de personnes ont la chance d’expérimenter; et de moins en moins, malheureusement dans les décennies à venir.
    Je vais couper court, pour l »instant. La multitude de sujets qui s’évoquent, peu à peu, alertent ma flemme naturelle, je pourrais ne jamais terminer ce petit mot de contact.
    A ce jour, j »envisage sérieusement une rupture conventionnelle avec mon employeur. Celle ci me permettrait probablement d »acquérir un voilier d’occasion. L’absence de connaissance de la voile m’inquiète peu. Se préparer, envisager, rêver, et se jeter … sont en gros ma devise, bien que doutant en avoir jamais eu une, de devise.
    J’aurais énormément aimé vous rencontrer, le café ou le thé, chauffent en permanence dans les cendres, et c’est un grand plaisir d’offrir un bout de poisson, et partager avec un étranger.
    Je vais continuer à explorer vos récits, prenez soin de vous.

    • Corinne dit :

      Cher Emmanuel, merci d’avoir partagé tout ça avec moi. Je lis « vivre en autarcie au contact de la nature » comme mon rêve le plus profond, même si je sais que l’autarcie complète, c’est difficile. Je pense que si vous avez fait tout ça, l’absence de pratique en voile ne devrait pas être un problème, c’est quelque chose qui s’acquiert et se pratique de mille manières. Cela ne devrait pas faire plus peur qu’abandonner son contrat, son employeur, je pense. Au plaisir de partager un bout de poisson quelque part en mer, et bon vent!

  7. MICHEL CHAPUT dit :

    Corinne ne lâche pas tu est très forte et le monde est a tes pieds tu n’a qu’a le rêver et demander a ta puissance supérieure de te guider vers ton chemin qui est déjà tracé pour toi ( Ne l’oublie jamais ) Demande et tu recevra) et bonne route et te souhaites pour 2017 que tu possède ton voillier et tu l’aurra si c’est bon pour toi .Corinne de ton Ami sincère Michel XXX.

  8. Osito dit :

    Toujours sur l’eau Corinne ?

  9. Jocelyne dit :

    Bonjour Corinne. Merci de me faire voyager avec ton regard, avec tes mots, avec tes images, et surtout ton vécu émotionnel. Je t’écris du bout du monde, d’une des iles de l’archipel des Fidji où j’ai rencontré des gens formidables, qui t’offrent d’abord leur sourire et leur Bula Bula (bonjour bienvenue) avec tant de générosité.
    Je vis sur mon voilier depuis 9 ans en prenant le temps de vivre dans les pays que je visite. La vie en mer est pleine de belles rencontres et d’étonnements infinis. Le rythme lent du bateau donne son rythme au voyage. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt ton reportage sur les îles de Polynésie Française. J’y retrouve la lumière et les camaïeus de bleus qui font rêver la terre entière.
    Je voudrais te dire de persévérer dans ton apprentissage de la vie en mer. Et que l’âge n’est jamais un obstacle. La preuve : j’ai 67 ans et l’âme d’une jeune fille. Et certains des marins rencontrés comptent bien plus de printemps…

    • Corinne dit :

      Chère Jocelyne, un million de mercis pour ce message qui me remplit de joie! Il faut que j’apprenne à me donner les moyens d’avancer, car la mer m’appelle plus fort que jamais. Je suis tellement impatiente et en même temps je ne peux qu’être patiente. Le temps qu’il faudra… Je ne pensais pas pouvoir goûter aux îles du Pacifique avant d’y arriver, comme toi, après des années de navigation. J’avais un peu peur de cette rencontre que je voyais comme cruciale. Et puis là-bas j’ai réalisé que ce n’est pas tant l’endroit, mais la vie en mer comme tu la décris, tout simplement, peu importe où. Je te souhaite bien des années de plus, et au plaisir de te rencontrer quelque part un jour, peut-être!

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