Histoires
d'ailleurs

Préambule à une multitude de trains: s’envoler, avec l’amour

Publié le • Dernière mise à jour:
22.11.15 – Lorsque je me suis retrouvée face à l’ennui, assise à la dernière des dernières places, la 30D couloir juste devant les toilettes, j’ai réalisé que c’était à lui que j’avais l’habitude de tout dire, même les trucs les plus insignifiants.

C’est à lui que j’avais besoin de tout raconter, pour faire comme si nous étions toujours là, ensemble, à chaque fois que je repartais. À chaque départ, je lui déversais tout. L’insignifiant prenait alors une importance magistrale, il se faisait le lien, le seul lien vivant qu’il restait à travers la distance.

Sur mon siège 30D donc, dans l’avion qui me mènerait à Cluj-Napoca, dans le nord de la Roumanie, je me suis pris dans la face un coup de vide immense et j’ai remballé mon téléphone sans autre forme de procès: l’hôtesse ne me réprimanderait pas cette fois-ci. Pourtant des choses à dire, j’en avais déjà mille, comme:

  • Ce sentiment d’être déjà sur une autre planète, rien que dans la file d’attente de l’aéroport: une myriade de regards ahuris se sont déversés sur moi alors que je demandais la raison de l’existence de deux files.
  • L’excitation! Partir à l’aventure, seule en train, à travers des pays dont je ne sais pratiquement rien, cela faisait trop longtemps…
  • Le regret d’avoir pris ce jeans là et ces chaussures là. Je me sens toute engoncée, car avec les kilos perdus (je commençais à disparaître), je n’ai plus suffisamment l’habitude de mes affaires pour juger de leur confort durant un long voyage.
  • L’étrange sonorité presque familière du Roumain, partout autour de moi. Il me rappelle l’Italien, le Français par moment. Mersi! Cu plăcere!
  • L’absence du MacDo dans le Terminal 2. Parce que pour moi, les nuggets, c’est un rituel à chaque fois que je suis noire de colère, ou à chaque fois que je décolle: une de mes drôles de façons de me créer un sentiment d’appartenance (je sais, c’est dégueulasse, et tu sais que je le sais, n’en parlons pas plus)
  • Le manque de toi. Il me projette dans un vide contre lequel je ne sais lutter. Des larmes montent, que j’essaie de dissimuler… Mais quelque part c’est comme si tu m’avais un peu tué, et je te hais autant que tu me manques.

Toutes ces choses n’ont désormais plus de destinataire. Je t’aurais bien dit « Voilà, je vais décoller, je t’aime et tu me manques déjà ». Mais je ne dois pas. À qui écrivais-je toutes ces bêtises, avant toi? Les écrivais-je, simplement?
Il me semble que j’avais appris, de mon temps seule, à n’en pas ressentir le besoin. Aujourd’hui, je ne peux que patiemment attendre que la douleur et le vide s’atténuent, jusqu’à ce que je retrouve cette autre moitié de moi-même que j’avais mis en sourdine pour te laisser de la place dans ma vie.

Alors, à je ne sais combien de kilomètres au-dessus d’un point indéfini de l’Europe (la Hongrie, me dit-on dans le haut-parleur), j’écris, pour combler le vide terrifiant. Et je m’attends, au bout de la route.

Cette nuit, j’atterris à Cluj-Napoca, dans le nord de la Transylvanie. Je vais dormir chez une fille d’ici (vive airbnb), que je ne connais pas encore mais qui est pour l’instant le seul flotteur en vue: cet être humain est ma destination, jusqu’à la prochaine inconnue, après-demain. J’espère qu’elle m’aidera à déterminer la suite de la route. Vers l’est et la côte de la Mer Noire? Rester en Transylvanie? À l’ouest, vers Timisoara? Vers le delta du Danube? Je suis désormais comme un voilier sans capitaine. Et j’ai toujours aimé me prendre le vent en pleine face.

Cluj-Napoca, Roumanie

Cluj-Napoca, Roumanie

Lire la suite: Cluj-napoca, premières impressions roumaines

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Par Corinne Stoppelli

Je suis Corinne, un petit oiseau libre. Sans domicile fixe depuis 2010, je sillonne la planète à la recherche d'inspiration et de points de vue différents. Sur Vie Nomade, je partage mon regard sur le monde, le temps et le changement, d'une plume sincère et d'un objectif curieux et ouvert. En savoir plus?

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(9 commentaires)

  1. NomadikTime dit :

    Un vide, une abysse dans le cœur. Je m’associe à ton sentiment, les lecteurs de ton blog le remplaceront bien vite je l’espère!

  2. Mickaël dit :

    Ton post me fait ressentir de l’empathie…
    Je suis ton blog depuis quelques années maintenant, par intermittence. Je l’apprécie pour ce que tu y racontes, pour la façon que tu as de te livrer, davantage que de nous vendre du rêve comme il se fait en une multitude d’autres endroits du cyber-monde… Lorsque je lis ton blog, je sens la plume d’un être humain, d’une femme très sensible qui aime s’émerveiller sur le long sentier d’une quête qu’elle seule comprend… ou comprendra un jour.

    Ces temps-ci, cet humain (cette humaine ? :-) ) s’émerveille peut-être moins, mais ce n’est que provisoire… répète-toi le tant qu’il le faudra et garde le sourire. Il viendra un matin où tu réaliseras qu’aujourd’hui tu n’as pas pleuré en te réveillant : ce sera le signe que l’oiseau est reparti de plus belle !

    Si je te parle d’empathie, c’est qu’il y a cinq ans, j’ai moi-même fui un chagrin d’amour grâce à la route. C’était avec une compagnie de cars, mais c’est également à Cluj Napoca que ma triste solitude m’avait ammenée, modifiant légèrement les projets polonais qui avaient été construits à deux. Et c’est passé. Ca passe toujours !!! Garde espoir chaque seconde, du beaucoup mieux t’attend, ow oui !

    Voilà, je n’ai pas résisté à cet appel de l’empathie, il fallait que je t’écrive ce message. La Roumanie est un pays magnifique, l’un des plus dépaysants d’Europe, je pense. Je ne sais pas quelles sont tes obligations de connexion à Internet, mais je te recommanderais vivement de tenter de te perdre un peu dans les villages paumés de Transylvanie, là où les routes sont des chemins et où l’eau courante n’est pas encore arrivée, où les poules se balladent librement dans les villages et où les hommes vont encore travailler aux champs sans tracteur. Il y a quelque chose à y voir, à y ressentir.

    • Corinne dit :

      Hello Michaël, merci beaucoup pour ton commentaire touchant et rassurant. À la nuit 5 (où j’en suis, juste là) je me sens déjà nettement mieux et je n’ai pas pleuré depuis deux jours. La météo ne m’est pas d’une grande aide, je dois l’avouer, mais dans ma quête de survivance, j’avance à petits pas :p J’aimerais ça, me perdre dans ce genre de villages, mais je suis encore un peu désorientée, je ne sais pas où chercher, où aller. Les Roumains que je rencontre n’ont pas l’air de comprendre ce besoin, alors ils me donnent des noms de villages touristiques… Si je devais rester là pour des mois, j’aurais le temps pour l’essai-erreur, mais juste là, l’heure de sauter en Bulgarie s’approche à grands pas. Quoiqu’il en soit, je vais tenter et j’ai posé mes valises à Brasov pour quelques nuits pour pouvoir me balader sans tout mon bordel *dehors* de Brasov ;)

  3. Map & Fork dit :

    Bon voyage et bonne route Corinne, nous te suivrons avec toujours autant de plaisir et intérêt et bientôt ferons de même pour une aventure InterRail en Scandinavie en plein hiver

  4. Gwen dit :

    Ah, vraiment, comme c’est joliment dit !
    Un avion pour changer d’air, effacer, recommencer, ou juste continuer, parce qu’il n’y a rien d’autre à faire.

    Bonne route !

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