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Être un aventurier aujourd’hui? Une question de perspective

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Des touristes, des touristes partout. On les reconnaît facilement à leur look, à leur comportement: shorts à poches, sac à dos de montagne, appareil photo en bandoulière, chapeau à visière et la démarche un peu chaotique de celui ou celle qui erre à la recherche de quelque chose à ressentir.

Je me balade à Florence et je me vois en difficulté. Je suis venue, comme eux (en touriste!), pour voir de mes propres yeux la beauté d’une ville dont la réputation n’est plus à faire. Mais j’ai du mal à l’apprécier parce que je suis sans cesse bousculée par les mouvements erratiques de cette foule grouillante et étrange, presque surnaturelle. Je zigzague entre les couples qui se prennent en photo, sourire figé et pose parfois acrobatique devant un monument, j’évite les fleuves de russes et de chinois menés par un guide courageux, reconnaissable à son petit fanion ou, parfois, à un parapluie coloré.
Je me fraie un passage vers une ruelle un peu dégagée juste histoire d’échapper quelques minutes à l’absurdité de ces centaines de langues qui se heurtent dans mes oreilles.

Le touriste d’aujourd’hui, c’est comme le téléspectateur de hier. Lorsque la télévision a débarqué dans les foyers, certains y ont vu un progrès, d’autres y ont vu un danger. La télévision c’était le nouveau dieu et le nouveau diable à la fois. Puis, tout le monde en a eue une à la maison. Au fil des années, les téléspectateurs sont devenus une vraie population, qui s’est petit à petit différenciée. Il y a le téléspectateur qui consomme en masse, il y a celui qui rejette tous les programmes sauf ceux culturels, il y a celui qui ne s’en sert que pour regarder les news, et celui bien sûr, qui rejette la télévision en bloc.

L’éternel petit débat qui fleurit tout le temps « le touriste c’est le mal » n’a pas lieu d’être car il fait partie de notre ère, tout comme cette télévision qui trône dans la plupart des foyers. Il y a autant de touristes qu’il y a d’êtres humains.

Touristes à Florence

Touristes à Florence

Je regardais l’autre jour un épisode de la série Mad Men: 1969, l’homme fait son premier pas sur la lune (quoi qu’en disent les conspirationnistes) et des milliers de foyers souvent rompus par les nouvelles conditions sociales se retrouvent soudainement réunis, grâce à ce poste de télévision qui retransmet des images tout droit venues de l’espace. N’est-ce pas incroyable? Et il y a tant d’autres événements historiques et actuels auxquels nous n’aurions aucun accès aujourd’hui sans les médias en général.

Lorsque j’ai la chance de retrouver mes amis voyageurs, il y a souvent ce moment où le sujet se remet sur la table. Le tourisme, c’est quoi aujourd’hui? Et nous, quelle place occupons-nous dans cet univers-là? L’autre jour, Jonathan (Voyagecast) me parle de Lévi-Strauss et de son Tristes Tropiques (publié en 1955, comme quoi, la problématique n’est pas toute récente). Il me dit que certes, on envie l’aventurier de l’époque, mais que dans une ou deux générations le monde aurait encore tellement évolué vis-à-vis du tourisme, que nous serons peut-être aussi ces aventuriers que ces nouvelles générations envieront, ceux qui ont juste eu la chance de visiter des lieux encore peu touchés par le tourisme (si cela a encore un sens, quelque part) ou de faire des expériences que le futur rendra impossible à d’autres pour des raisons encore inconnues.

Cela n’a rien à voir avec l’égo, c’est une question du regard que pose la société sur son passé et son présent, sur le moment de transition dans lequel elle se trouve. Mieux avant? Peut-être mais nous avançons, il faut s’adapter. Et je serais curieuse de voir.

Il faut certainement vivre avec les moyens de son propre temps plutôt que regretter un passé qui nous paraît glorieux, et je crois que surfer sur cette vague qui aborde la « banalité du réel » comme un changement indéniable (parfois un poil trop nihiliste au goût de certains, je pense aux écrits de Houellebecq), c’est propre aux moeurs de notre temps.
Réalisme, hyper-réalisme, surréalisme peut-être dans les moments de choc culturel? Le romantisme c’est fini, même si on peut continuer de le faire vivre à travers la nostalgie.

Notre ère a cela de positif qu’elle nous rend l’expérience facile (le salariat, comme le souligne Marin de Viry dans cet article en réaction duquel j’écris) et l’observation encore plus facile. C’est une encyclopédie à émotions ouverte et c’est une chance incroyable aussi pour nous qui écrivons, d’avoir un accès physique à ce matériau complètement actuel et en changement.

Et si l’on se dit que l’on documente le monde pour demain, que ce que nous voyons comme la banalité du présent prendra tout son sens dans l’histoire future, on se laisse la chance d’être cet explorateur de l’aujourd’hui, à même titre que nos aventuriers de hier.

Et je rejoins le questionnement de mon ami Jonathan: pourquoi juger, dénigrer le tourisme? Ceux qui le font peuvent-ils se prétendre au-delà, intouchés par le phénomène? Et surtout, où prend source ce besoin de juger? Ne serait-ce pas un besoin de se démarquer? De paraître supérieur, ou de laisser paraître l’autre inférieur?

L’être humain a toujours été en rupture entre son besoin de la société (nécessaire à sa survie), et son profond individualisme. L’égo fait donc partie des qualités propres et indéniables de la race humaine. Peut-on, alors, se permettre de juger le jugement lui-même?

Comme toujours, tout n’est qu’une question de perspective.

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Par Corinne Stoppelli

Je suis Corinne, un petit oiseau libre. Sans domicile fixe depuis 2010, je sillonne la planète à la recherche d'inspiration et de points de vue différents. Sur Vie Nomade, je partage mon regard sur le monde, le temps et le changement, d'une plume sincère et d'un objectif curieux et ouvert. En savoir plus?

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(11 commentaires)

  1. Jonathan dit :

    C’était mieux avant… je déteste suprêmement cette expression. Avant quoi ? Et as-t’on connu et vécu dans cet avant ? Est-ce que c’est l’avant idéalisé qui nous rend nostalgique ou le « vrai » avant ? Et si je dis aujourd’hui « c’était mieux avant », dans l’absolu il faudrait que je ne le répète plus jamais, une sorte d’expression one shot qui fixe l’avant, le présent, et l’après… Et en disant ça, je détermine automatiquement mon futur comme étant moins bien que mon passé, condamné à la médiocrité et la décente aux enfers…
    Ceux qui trouvent qu’il n’y a plus rien à faire, que le tourisme a disparu, que l’aventure et l’exploration n’existent plus… ne vivent pas dans le même monde que moi. Sans tomber dans le cliché « chaque jour est une nouvelle aventure », il faut s’avoir s’ouvrir, voir plus loin que ce qu’on aimerait voir, s’oublier, et aller vers ce qui sera toujours l’inconnu: l’autre.

    • Oui, je pense toujours à l’énergie que l’on perd à considérer toutes ces choses sur lesquelles on n’a aucun pouvoir. La seule chose que je retire des choses que j’ai envie de dénigrer, c’est d’apprendre quel type de personne je ne voudrais jamais être. C’est très bien, mais bon c’est assez vite fait (et très changeant), pas besoin de s’éterniser sur la diabolisation de ceci et de cela.
      Les autres ne peuvent pas voir ce que l’on voit, et c’est ce qui les porte à juger les choses différemment de nous. C’est ce qui m’intéresse le plus et c’est la partie la plus importante de mes voyages. C’est leur histoire, ce qui les a amenés à faire ces choix là, et comment je pourrais intégrer tout ça en moi pour faire des choix encore plus sensés, ou plus libérés. Quand je rencontre des gens qui ont ce même objectif sur le chemin, que ce soit dans un train qui traverse le désert ou au fin fond d’une île dans le Pacifique, je suis marquée à jamais, changée… et peut-être l’autre aussi. Pour moi c’est ça la magie du voyage. Je ne veux pas sauver le monde, ce serait vain. Mais je crois à cet échange qui rend la vie plus belle, plus complexe, plus riche.

  2. jonathan dit :

    J’avoue j’ai pas tout compris.
    Sinon, pour le débat avant/maintenant, j’ai tendance à dire qu’on s’en fout d’avant, il suffit de regarder ce que génère le tourisme de masse d’aujourd’hui pour constater que c’est de la merde. Sur le lac Titicaca où l’on photographie les autochtones en tenue traditionnelle comme dans des safaris humains. Dans Venise devenue un Disneyland historique presque vidé de ses habitants. A Cuzco, Le Caire, Cartagena, Bangkok, ou dans n’importe quelle ville touristique de pays pauvre, où les filles deviennent putes…
    Quant à savoir si le mec qui sort de la piscine de son 3 étoiles pour aller faire un tour dans le souk de Marrakech est l’explorateur d’aujourd’hui, bah…
    (oui, je suis le fameux dénigreur cité dans l’article)

    • Y’a pas de dénigreur dans l’article, mais une question ouverte qui demande si on peut réellement se permettre de juger les gens qui choisissent de juger (en gros est-ce que moi j’ai le droit de te juger sur le fait que t’es en train de juger, juste là).
      J’ai volontairement choisi la neutralité dans mon article, mais bon ce que je pense c’est que ça ne servirait totalement à rien. Tout ce que tu cites fais partie de notre humanité, malheureusement si tu veux, indéniablement si je veux. C’est pas prêt de s’arrêter, c’est une conséquence du progrès.
      C’est le même type de débat que pour la démocratie: quel pourcentage de votants connaît suffisamment le sujet pour pouvoir s’exprimer avec justesse/justice? J’en connais beaucoup qui me diront « pas assez, tous des cons ». Dès lors qu’on décide que « pas assez, tous des cons », peut-on donc affirmer que la démocratie est invalide? Et si on l’affirme, on passe à quoi ensuite?
      Jonathan me disait « Et puis, de quel droit interdirait-on le tourisme de masse ? On voyageait avant eux, et mieux, alors qu’ils restent chez eux dans leur HLM? ». Ouais, est-ce qu’on passerait à ça ensuite? On empêcherait en bloc les vacances dans les resorts égyptiens tout inclus, le tourisme pas responsable, la visite de Venise, etc (qui sont pourtant le choix totalement libre de ces personnes)? Et puis, comment décide-t-on ce qui est du tourisme responsable, et qui déciderait?
      Les populations changent, migrent, évoluent, s’éteignent depuis la nuit des temps.

  3. Camille dit :

    L’aventure, la vraie, est intérieure ! Repousser ses limites, vivre une expérience similaire à son voisin de « photo-qu’il-faut-absolument-prendre », mais qui sera remémorée différemment en fonction de nos cultures, centres d’intérêts et souvenirs personnels…

    Et le voyage est une expérience tellement subjective. Ce qui me semble banal, à moi parisienne, est pour un étranger source d’émerveillement… Travaillant dans un quartier très touristique, j’ai toujours quelques difficultés à comprendre l’intérêt de la traditionnelle visite chez Ladurée dont il y a des points de vente dans les aéroports, quand on peut voir quelques bâtiments moins renommés mais plus dignes d’intérêts (du moins à mon sens), encore faut-il les connaître… C’est pour moi tout l’intérêt des blogs, offrir des pistes de découverte loin des sentiers battus.

    • Tout à fait d’accord, l’aventure est intérieure. Il n’y a qu’une histoire, c’est la nôtre: c’est l’image qu’on se fait du monde, c’est la somme ce que l’on pense comprendre ou apprendre au contact des autres ou du monde. C’est la seule à laquelle on peut réellement se référer.
      Il y a une quinzaine d’années, lors de mon premier passage à Paris, je suis allée à Ladurée et j’ai fait la queue ;) Je ne sais pas s’il y en avait à l’époque à l’aéroport, mais on n’en trouvait pas en Suisse en tout cas. J’ai ramené des cartons pour les amis qui se sont régalés. C’était en soi une petite aventure. Aujourd’hui pour moi aller à Ladurée à Paris n’a effectivement plus aucun intérêt, ce n’est plus de notre temps, je peux en trouver partout :p

  4. Piotr dit :

    Pour mes grands parents, l’aventure c’est prendre l’avion… pour moi, l’aventure c’est un trek de min 100km… pour d’autres c’est déjà sortir de chez eux.

    A chacun sa définition.

    Ensuite, le tourisme de masse détruit ce qui le fait vivre. C’est un fait inéluctable.

  5. Oh oui, cet « avant » ou si peu de personnes pouvaient découvrir la joie de la découverte. Ah c’est sûr, c’était mieux quand seuls les privilégiés pouvaient partir <3

    Bref, ce sujet tourisme de masse VS vrai tourisme m'enquiquine toujours. Certes, il est important d'en discuter (notamment sur la détérioration de certains monuments par le passage régulier de gens, comme le Machu Pichu) mais honnêtement les gens qui se targuent de ne pas être "le touriste lambda" et qui ensuite disgressent sur le tourisme de masse sont souvent imbus d'eux-même. Qu'aiment-ils le plus, au fond, le voyage (et donc accepter que le voyage soit différent selon les envies des gens) ou cette image qu'ils renvoient en disant qu'ils sont pas des touristes ?

    Par exemple, quand on voit des populations "déguisées" avec des tenus ancêstrales qu'ils ne mettent jamais, le public est-ce réellement le touriste de masse ou celui qui répète à tout bout de champs qu'il veut voir du vrai, de l'authentique ?

  6. Laurent dit :

    J’aime bien l’analogie entre le tourisme de masse et la démocratie dans un de tes commentaires. À de rares exceptions, la démocratie, tout le monde est pour, mais personne ne va nier que dans son for intérieur, à la veille d’une élection, quand on entend ici ou là des arguments d’une débilité confondante, on se dit qu’on aimerait bien tout de même que notre bulletin de vote compte un peu plus que celui de cet idiot. Mais évidemment, sur bien d’autres sujets, nous sommes nous même l’idiot d’un autre.
    Le tourisme c’est un peu pareil, tout le monde pense que voyager est une preuve d’ouverture qui ne peut-être que bénéfique, jusqu’au jour où on se retrouve perdu au milieu de cette masse de touristes avec des pensées du genre … « au secours » !
    Vouloir se démarquer, ça peut-être un manque de maturité. Je l’ai fait à l’époque de mes premiers voyages. J’avais l’impression de vivre une grande aventure, d’ailleurs, ça n’était pas qu’une impression, c’était pour moi qui avais tout à découvrir une aventure. Et une aventure, c’est forcément mieux que la banalité du tourisme de masse, d’où le besoin de se démarquer. Et puis on apprend, on ne ressent plus le besoin de prouver au monde quoi que ce soit, le voyage nous suffit.
    Quant à avoir des touristes partout, on en est encore assez loin. Les noms de destinations qui font rêver sont certes pour la plupart envahis, mais voyager des semaines en croisant relativement peu de touristes reste d’une facilité assez déconcertante. Ce sont des noms de destinations qui ne font pas forcément rêver, mais y aller est aussi simple que de monter dans un bus, un train ou un avion. Évidemment, ça n’est pas mieux, c’est juste différent. Il faut varier les plaisirs :-)

  7. Jérôme dit :

    Pour ce qui est du tourisme en Italie, du vrai, allez à Cuneo un jour de marché, c’est le mardi et au mois de mai. Vous y sentirez l’Italie profonde, celle de la terre, de la qualité, du produit de qualité. Et puis l’après-midi vous irez visiter une vallée du Piémont au choix, Valle Maira jusqu’à Chiappera par exemple. Il y a aussi Valle Stura, Valle Grana, Valle Varaita, Valle Gesso. Pas de touriste ici mais des villages anciens époustouflants, des maisons anciennes monumentales, la nature belle et puissante et des italiens qui vivent encore sur leurs terres. Et puis partez à l’aventure vers le col Stroppia et l’Ubaye…

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