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L’ivresse de la neige: randonnée et considérations autour de Gryon, Suisse

Publié le • Dernière mise à jour:
Je suis retournée au chalet de Stephanie à Gryon. Je crois que ça faisait un mois que je ne sortais plus, ou du moins, que je n’en avais pas la moindre envie. Il y a des moments comme ça, des moments où tout, dehors, me fait peur et particulièrement les gens. Les fêtes de fin d’année ont tendance à me plonger dans ce genre d’état depuis des années et c’est pourquoi, en général, je les fuis.
Chalet à Gryon, Vaud

Au petit matin, on ouvre tous les volets au chalet de Stephanie.

Il y a quelque chose dans l’idée de Noël qui me dérange: c’est un peu le paroxysme des attentes des autres. C’est Noël, il faut être heureux, souriant, il faut célébrer les liens proches, tout ça en donnant de l’importance à des choses qui, hélas, semblent ne pas en avoir autant tout au long de l’année. Mais il n’y a pas que ça, non. Il y a un quelque chose sur lequel je n’ai pas encore réussi à mettre le doigt concrètement. En fuyant, chaque année, je m’évade joyeusement de ces sentiments moroses. En restant, cette fois, j’ai fait face comme à un sentiment de deuil. Mais de quoi?

Village de Gryon, Suisse

Au coeur de village de Gryon: si l’on s’arrête assez longtemps, on peut apprécier un festival de battements d’ailes.

Tant est-il qu’il fallait bien que je me sorte de là. Et qu’il fallait bien que je fasse face à un autre deuil tout frais, celui de Tounsi, le chat de Stephanie que j’ai cat-sitté de nombreuses fois. Tounsi n’était pas un chat facile et il avait son petit caractère; j’ai souvent caressé l’idée qu’il aurait pu être un chat autiste. Il nous a aussi causé bien des frayeurs.

Gryon, La Barboleuse, Suisse

Une partie de la commune (éparpillée) de Gryon, du côté de la Barboleuse

J’ai un rapport très particulier à la mort. J’ai souvent l’impression qu’elle me survole. À bien y repenser, c’est une impression qui m’accompagne aussi dans mes relations sociales: les choses se font, se défont et je les regarde, les considère et m’adapte tranquillement aux changements. Pourtant, je suis d’une rare réticence aux changements devant s’opérer dans mes habitudes; à croire que la partie émotionnelle de mon cerveau soit encore assez indépendante de l’autre. C’est cette drôle de constatation d’ailleurs, qui avait été un point majeur de ma reconversion en nomade: j’avais l’impression d’avoir perdu une vaste palette d’émotions et de n’être restée qu’avec la colère (un profond sentiment d’injustice) et le désespoir (la même). Partir et me décarcasser de tout ce que je connaissais était une démarche extrême qui m’aurait peut-être permis de ressentir à nouveau, sans aucune influence extérieure possible. Et ce fut le cas, mais il y a encore quelques réglages à optimiser.

Gryon, SuisseGryon, randonnée dans la neige

Bref, j’ai pris les choses en main et je suis retournée au chalet de Stephanie, où j’avais appris à skier deux auparavant, grâce à elle. D’aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours été une férue de glisse, mais la reprise du snowboard, dix ans plus tard, s’est révélée être un immense échec. J’aurais bien balancé ma planche du haut de la montagne tellement la frustration était grande. Mais Stephanie m’a encouragée à tenter le ski. Et en quelques heures, exit déjà le chasse-neige. À croire que j’étais née pour skier (peut-être pour ça que le destin a amené ma cigogne en Suisse, tiens). Bon, c’est un passe-temps plutôt coûteux, alors tant que ma situation ne se sera pas améliorée, je peux dire tchô bonne à mes grands rêves d’héliski et compagnie, ha.

Alors quand Stephanie part skier, j’endosse mes bottines imperméables et je vais m’enfoncer dans la neige. Le scintillement si particulier de la neige, les vagues brumeuses qui tombent des sapins, au-devant d’un rayon de soleil, les branches gracieuses pliées sous le poids et surtout le silence, tout ça me remplit de joie. C’est une ivresse, celle d’être seule au monde pour quelques instants, spectatrice privilégiée de la pure beauté du monde.

Gryon sous la neigeRandonnée dans la neige autour de Gryon, VaudBalade dans la neige, en SuisseMarcher dans la neige à Gryon, Suisse

Je n’ai jamais froid quand je marche. Il fait -7°C mais mon manteau est ouvert, je ne porte pas de gants et j’ai enlevé le bonnet. Je m’imbibe de l’agréable fraîcheur qui fondrait presque sur ma peau. Je suis un peu comme tous ces éléments autour de moi, les sapins, les cimes, les toitures boisées des chalets: je profite des rayons du soleil malgré la densité de cette masse blanche dans laquelle tout s’enfonce ou s’ensevelit. Tout cela est très simple. Je n’ai besoin de plus rien d’autre que mon souffle, ma peau et mon regard.

Randonnée dans la neige à GryonGryon, VillarsBalade dans la neige à GryonUn coeur dans la neige

« Tu devrais essayer la méditation, ça te ferait du bien. » On me l’a dit un millier de fois. Or, je le sais déjà, et c’est là que je la trouve: dans la solitude, au coeur des éléments. C’est comme si, seule et sans jugement, seule et sans attentes, seule et sans autre bruit que celui du vent je pouvais, enfin, recoller les morceaux brisés au fond de moi.

Balade à GryonGryon, VaudMarche dans la neige à Gryon
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Par Corinne Stoppelli

Je suis Corinne, un petit oiseau libre. Sans domicile fixe depuis 2010, je sillonne la planète à la recherche d'inspiration et de points de vue différents. Sur Vie Nomade, je partage mon regard sur le monde, le temps et le changement, d'une plume sincère et d'un objectif curieux et ouvert. En savoir plus?

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(12 commentaires)

  1. Carole dit :

    Je prévois d’aller « m’enneiger » ce vendredi si le temps le permet, un gros besoin d’oxygène, de montagne et de neige :) Ton billet me donne encore plus envie, si c’est possible :D

  2. Corinne (Couleur Café) dit :

    Un article qui aère ;-)

  3. il neige jamais ou je vis mais qu’est ce que c’est joli pourtant ! tu viens de me donner envie de me rouler dans la neige :)

    • Corinne dit :

      Haha! J’adore me jeter dans une masse de neige à peine tombée! Après c’est un peu moins drôle par contre, quand ça fond et ça te rentre sous les habits :p

  4. Flowerpower dit :

    Un bel article qui sent l’air pur ! C’est touchant de te lire et tes photos sont magnifiques …

  5. Stephanie dit :

    « Il y a quelque chose dans l’idée de Noël qui me dérange: c’est un peu le paroxysme des attentes des autres. C’est Noël, il faut être heureux, souriant, il faut célébrer les liens proches, tout ça en donnant de l’importance à des choses qui, hélas, semblent ne pas en avoir autant tout au long de l’année. »
    Ah merci je ne suis pas la seule à avoir vraiment du mal avec Noël :-)
    Très bel article, j’adore !

  6. Nicolas Geinoz dit :

    Superbes images et texte au diapason. C’est un vrai plaisir de vous lire…

  7. Lucie dit :

    Je me retrouve beaucoup dans ta conclusion…
    Je n’arrive pas à méditer pour méditer. Mais le fait de partir en randonnée, même accompagnée (ou jouer de la musique) m’offre cette sensation de calme et sérénité.
    Quant à Noël, tu viens de mettre des mots sur ces maux qui me rendent mal à l’aise pendant les fêtes: « le paroxysme des attentes des autres ».

    Toujours un plaisir de te lire ou relire.

    • Corinne dit :

      Merci Lucie :) Je ne sais pas si on a le syndrome du « cerveau occupé ». Je me dis parfois que je me laisse envahir facilement par les choses (des occupations, des détails, de la musique) pour ne pas avoir l’espace mental d’entrer dedans et penser, comme si la douleur du monde était trop grande et qu’il fallait s’en distraire à tout prix. Ainsi, chaque plume, chaque pétale, chaque fissure dans un mur serait un placebo.

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