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La régate du Bol d’Or, ce voyage

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Lorsque mon amie Stephanie m’a proposé de faire partie de son équipage pour le Bol d’Or Mirabaud, une régate prestigieuse sur le Lac Léman, je n’ai pas hésité une seconde. À mes inquiétudes à posteriori, elle a répondu que j’en étais capable, alors je l’ai fait. Pensées…
Régate Bol d'Or Mirabaud

Sur la ligne du départ

Nomade des mers en devenir

Tout juste trois ans que j’ai obtenu ma licence auprès de la Royal Yachting Association, à Torrevieja. Trois ans que j’alimente le rêve de mener une vie de nomade des mers. Les moyens qui me manquent sont encore loin devant, mais en attendant, je peux toujours me former. Les régates sur le lac, avec ses vents changeants (quand il y en a!) sont idéales si l’on part du principe qu’il faut savoir gérer les conditions difficiles, les imprévus et les retournements de situations.

Mon équilibre tient dans le vent

Ce Bol d’Or, c’était pour moi comme un couronnement. J’ai survécu à ces quinze heures de course sous pression. Je les ai adorées. Même dans ces conditions qui nous laissaient à peine un répit occasionnel, j’avais ce vide fabuleux en moi, ce trou à inspiration qui se remplit d’idées, de pensées positives: une paix mentale que j’ai un mal fou à trouver dans mon quotidien et qui se termine dès que je pose un pied sur la jetée. Curieux.

Du mal de terre

C’est drôle, sur la jetée, le mal de terre. Le mouvement de l’eau est entré en toi, et tu titubes, pris de vertige. Je crois que je suis née avec le mal de terre. Ma mère me racontait qu’enfant, je ne m’endormais toute seule que dans la voiture, dans le train, dans le berceau… dans le mouvement.

Pisser dans le vent

Hm, ça dépend de la direction du vent. Pour ne pas choquer tout ce monde autour de nous (il y a quand même plus de 500 bateaux éparpillés sur le Léman), il va falloir se rabattre sur le seau au fond de la cale. Il y a juste de quoi cacher le blanc de mes fesses, si tant est que j’arrive à m’asseoir sur ce maudit seau. Tu tangues, tu t’accroches, tu essaies de baisser le leggings mouillé-collé (le remonter, c’est le plus grand challenge). Et puis tu sors avec le seau de pipi, qui t’accompagne dans ton dangereux tangage et tu lances un « Attention, pipi! » pour que tous les orteils se mettent à l’abri. Puis, tu rinces le seau dans le lac, manquant de t’envoler avec lui, tellement la pression de l’eau qui le remplit est forte.

Ton capitaine British

« Tout est meilleur toasté et avec du beurre dessus. » C’est ainsi que commence ma journée, avec un capitaine de bonne humeur qui semble (curieusement!) préférer le café au thé.

Régate Bol d'Or Mirabaud 2017

Monsieur Booth (le capitaine!) et sa fille Stephanie

Les hallucinations, ça n’arrive pas qu’en mer

Par moments j’ai l’impression d’imaginer tellement fort les dauphins et les poissons volants qu’ils pourraient vraiment être là, je n’en suis plus très sûre. Il y a aussi l’eau, de jour comme de nuit, qui semble par moments couverte de halos rouges, comme si elle était teintée de sang. Mais ce n’est sans doute que le reflet de la coque du Farrniente, ou alors le fruit de mon imagination. Bref, après 9:12 heures de course, l’esprit commence à te jouer des tours.

S’endormir de la manière la plus improbable

Dormir dans le mouvement, je disais. Alors après treize ou quatorze heures de régate, j’ai le corps et l’esprit qui flanchent. Je n’ai pas réussi à faire de sieste plus tôt, car il y avait toujours quelque secousse ou manipulation d’urgence. Un ris, deux ris, descendre la grand voile… Et puis, l’obscurité tombée, c’est assise à l’entrée du cockpit (c’est à dire sur vingt centimètres de plastique avec une glissière de métal entre les fesses) que j’ai rejoint Morphée, au coeur de la tempête. Je m’endormirais partout, sauf dans un lit. La voile, mon remède à l’insomnie?

Voyage en voilier! Le Bol d'Or

Le vent souffle et les casquettes s’envolent! Photo © Stephanie Booth

Le Mont Blanc guette

Il est là, il nous accompagne, seule cime blanche sur de longs miles. Parfois il disparait derrière un relief, selon la perspective de notre voilier (j’en déduis qu’il pourrait lui aussi aller pisser dans un seau, la faute à mes hallucinations). Il apparaît et réapparaît aux fil des heures et part se coucher avec le soleil, remplacé par un ciel étoilé sans pareille.

La régate, un voyage

Une régate c’est un sacré voyage. On pourrait même dire que c’est un condensé du voyage: un résumé que le temps est tout à faire relatif, flexible et qu’il dépend du regard qu’on lui porte. Quinze heures de course en tension, mais aussi quinze heures à regarder un paysage aussi changeant que si l’on avait pris l’avion… En se déplaçant lentement, on porte plus d’attention aux détails, à la beauté des choses.

Voyage en voilier! Le Bol d'Or

Yves, le troisième équipier (moi, je suis la quatrième, ou la troisième et demi?)

Les voileux du dimanche

C’est sûrement lorsque tu as plus de cinq-cent voiliers sur une ligne de départ que se joue le plus une course. Certains ne semblent pas être très au clair avec les priorités et les autres équipiers perdent de leur voix à crier « Triiiiboooooord! ». C’est qu’un voilier, tu ne peux pas vraiment le tourner comme ça, à la dernière minute. Et puis en même temps, les manoeuvres dans un si petit espace peuvent être vraiment techniques. Nous aussi, d’ailleurs avons failli griller quelqu’un. C’est tout penauds que nous nous sommes excusés. Pas de casse dieu merci.

Les pros, les chevaux, et toi

Tu les vois passer, assis tranquillement en équilibre comme s’ils avaient été posés nonchalamment sur un canapé (les pros, pas les chevaux, c’est fini les hallucinations?) alors que je suis crispée, tendue, nerveuse. Je m’accroche à tout malgré l’assise que j’ai pu développer durant ces dernières années. Cet équilibre, ça marche d’ailleurs beaucoup comme l’équitation: il faut apprendre à épouser les mouvements de la monture pour développer ce qu’on appelle l’assiette. J’ai maintenant une assiette des mers correcte, je chevauche les ondes plus ou moins naturellement (crispation en moins).

Régate Bol d'Or Mirabaud 2017

Les pros (ceux-là ne sont pas assis, par contre) Photo © Stephanie Booth

La force et la faiblesse

Quatre heures du matin au retour. On nous offre une collation. Je m’enquiers un instant de l’utilité de manger avant d’aller dormir et puis j’abandonne: quoiqu’il arrive, rien ne pourrait désormais m’empêcher de m’endormir. Réveil à sept heures le lendemain pour ramener le Farrniente à son port, à Lausanne, à cinq heures de lac d’ici. Ensuite, on pourra se reposer durant deux jours à panser ce corps qui a faibli de partout et qui ne demande qu’à rester couché. Dans la tête par contre, c’est la gloire, c’est la victoire. On l’a fait. On a tout bravé. On a survécu et on est déjà prêt à recommencer.

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Par Corinne Stoppelli

Je suis Corinne, un petit oiseau libre. Sans domicile fixe depuis 2010, je sillonne la planète à la recherche d'inspiration et de points de vue différents. Sur Vie Nomade, je partage mon regard sur le monde, le temps et le changement, d'une plume sincère et d'un objectif curieux et ouvert. En savoir plus?

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(8 commentaires)

  1. J’ai adoré ce récit ! On y est avec toi, et ça fait adorer le voile même sinon n’y a jamais pensé, ça donne des envies qu’on n’a jamais eues. Merci pour ta sincérité et ton humilité dans tes récits, et surtout bravo !

  2. Superbe récit ! J’ai grandi sur les rives du Léman, toujours admirative devant ce Bol d’or majestueux depuis la terre… Mais contrairement à toi, je n’ai pas le pied marin mais montagnard.

    • Corinne dit :

      Merci Audrey! Un alpiniste m’a dit une fois que les montagnards partagent souvent la passion de la voile, et vice-versa. Il y a une quête similaire d’infini, d’espace ouvert, d’atteindre un objectif, etc. Moi je crois que j’aime autant la mer (ou le lac, haha?) que la montagne.

  3. Violaine dit :

    Chouette article! J’ai bien ri à la pause pipi :) Quelle aventure!
    La dernière photo me rappelle mon initiation à la Yole en Martinique, c’est dingue la force qu’il faut dans ces bateaux!
    Joli souvenir <3

    • Corinne dit :

      Merci Violaine! J’ai jamais navigué dans une yole (c’est beau comme embarcation!), tu as dû ramer ou c’était exclusivement à la voile?

  4. Michel Chaput dit :

    Corinne , Re bonjour mon beau petit oiseau libre , super ce désir de faire de la voile , pourquoi pas , la mer c’est tellement sublime , avoir l’impression d’être dans la main de Dieu , voguer au fil du vent et se sentir encore deux fois plus libre , et voir que l’ont fait partie de cet univers merveilleux , au risque de me répéter encore une fois , ne lâche surtout pas Corinne ( Libre) je suis de tout cœur avec mon petit oiseau libre comme le vent et je vais te suivre j’usqu’a mon dernier souffle de vie , mes plus belles pensées s’envollent vers toi et puisse te donner l’énergie que tu a besoin pour continuer ton périple autour du monde

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